Mes derniers postes étaient consacrés à la nécessité d’une gestion « en bon père de
famille » des finances d’un ménage et de l’Etat – et aux similitudes qui existent entre la gestion des recettes et des dépenses des deux agents économiques. Sur le même thème, les dernières prévisions macroéconomiques et budgétaires du Gouvernement luxembourgeois ont été rendues publiques ce mercredi 21 mars 2012. Le ton du communiqué officiel et du document de prévisions publiés en ce premier jour de printemps est pour le moins inquiétant.
Pourquoi le Gouvernement est-il si inquiet ?
Il est vrai que l’endettement du Luxembourg semble relativement modéré par rapport à celui d’autres pays européens. En effet, la croissance (notamment démographique et de l’emploi) qu’a connue le pays au début des années 2000 lui a permis d’encaisser
des excédents budgétaires virtuels, et ce presque chaque année. Ces excédents peuvent être qualifiés de « virtuels » car nous avons créé beaucoup plus d’emplois neufs (et donc, de contributeurs à la sécurité sociale) que nous avons accordé de nouvelles pensions aux retraités.
Quoiqu’il en soit, la crise de 2008 a fait basculer le budget global (Etat + communes + sécurité sociale) dans le rouge en 2009 (on parle de « déficit ») suite à l’augmentation de certaines dépenses (ex. stimulus, chômage) et à la diminution des revenus de l’imposition. De son côté, la dette publique luxembourgeoise n’a cessé d’augmenter après la crise, ceci afin de combler les tout nouveaux déficits :
Le problème, c’est que tous les experts du Gouvernement en matières fiscales (STATEC, sécurité sociale, CSSF, administration fiscale) prédisent, à politique inchangée, une détérioration de la situation à 2015. Pour la première fois dans l’histoire du Luxembourg, le déficit dépasserait la limite de déficit autorisée par le Pacte de Stabilité et de Croissance européen de 3% du PIB et ce, pour au moins trois années
consécutives (-4% du PIB en 2013 et -3% en 2014 et 2015) :
Graphique 2 En % du PIB
Pourquoi devrait-il l’être davantage ?
Pire encore, ces prévisions déjà très peu joyeuses se basent, selon moi, sur des hypothèses de croissance de l’économie et de création d’emplois pas vraiment atteignables d’ici 2015. En effet, le Gouvernement table sur un taux de croissance moyen de 3,7% sur la période 2013-2015, atteignant 4,0% et 4,8% en 2014 et 2015. Sur cette même période, près de 22.000 postes supplémentaires devraient être créés,
avec des taux de croissance de l’emploi de 1,4% et 2,8% en 2014 et 2015 :
Ces hypothèses de croissance sont-elles bien réalistes ? Personnellement je n’y crois pas trop.
En effet, avant la crise de 2008 le Luxembourg a connu des taux de croissance de l’ordre 4,5% en moyenne par année. Arriverons-nous vraiment à atteindre de tels taux de croissance en 2014 et 2015 ? Le potentiel de croissance de notre économie a baissé suite à la crise. La production industrielle n’a pas encore atteint les niveaux
d’avant-crise et le secteur financier est en phase de consolidation et ne parvient plus à enchaîner des taux de croissance aussi dynamiques qu’auparavant. Qui plus est, un taux de croissance moyen de 3,7% sur la période implique que l’économie serait dans une phase « haute » du cycle économique entre 2011-2015. Ne nous situerions-nous pas plutôt sur une pente péniblement ascendante sur la période en considération… ?
Enfin, même si ce chiffre paraît important, les 22.000 emplois à créer sur la période 2013-2015 sont encore loin de permettre une stabilisation de l’évolution du chômage. A titre de rappel, notre économie a créé 97.000 postes nouveaux entre 2001 et 2010. Or,
au lieu de se résorber au cours de cette période, le chômage a augmenté de 13.000 unités ! C’est cela le paradoxe luxembourgeois : un doublement du marché de l’emploi peut coexister avec un triplement du chômage. Il n’est donc pas dit que les résidents chômeurs actuels soient suffisamment qualifiés pour occuper ces 22.000 postes prévus. Qui plus est, un taux de croissance de l’emploi de 1,4% et de 2,8% en 2014 et 2015 (voir graphique 3) est-il lui-même réaliste lorsqu’on sait que la croissance de l’emploi des années 2000 (4% à 4,5% en moyenne) est révolue ?
En conclusion, les prévisions de déficits à -4% et -3% du PIB présentées par le Gouvernement me paraissent déjà compromises. Dans de telles conditions, l’équilibre budgétaire d’ici 2014 me paraît simplement impossible en l’absence de mesures structurelles suffisamment incisives.
Que faire?
Selon le communiqué d’actualité du Gouvernement, une nouvelle culture au
niveau des dépenses est à présent nécessaire. Quatre principaux groupes de dépenses de l’administration publique se doivent d’être réexaminés avec prudence dans les semaines à venir, à savoir :
– Les investissements ;
– La politique sociale ;
– Les rémunérations ;
– Les dépenses de fonctionnement.
L’ensemble doit être socialement équitable tout en étant favorable à l’économie.
Ce sont là en effet les pistes à suivre selon moi et je tâcherai de commenter ces quatre piliers dans les prochaines semaines. Quoiqu’il en soit, le décor semble bel et bien planté pour le débat à la Chambre des Députés de la semaine prochaine et pour le discours sur l’état de la nation… à suivre donc.