Le comité de prévision (CP), organe mis en place en 2010 par le ministre des finances et composé notamment de représentants de différents ministères, des administrations fiscales du STATEC, de l’IGSS et de la CSSF, a présenté ce 7 novembre une note au Formateur contenant les projections macroéconomiques et la prévision des finances publiques à politique inchangée pour la période 2013-2016.
Après une analyse factuelle de la situation socio-économique et budgétaire actuelle et des perspectives afférentes à moyen terme, je remarque que cette note pèche de surcroît par un optimisme non fondé. En effet la Commission européenne, dans ses prévisions d’automne, dresse un tableau à la fois plus pessimiste mais, me semble-t-il, plus réaliste. Si le CP estime que « le contexte macroéconomique est généralement favorable » (en tablant sur une croissance économique réelle de 2,7% en 2014, 1,8% en 2015 et de 3,6% en 2016), la Commission européenne estime que la croissance du PIB atteindrait 1,9% en 2013, 1,8% en 2014 et 1,1% en 2015.
En termes d’emploi, des différences significatives ressortent également en ce qui concerne l’évolution à moyen terme. Alors que les prévisions sont identiques pour 2012 et 2013 (respectivement 2,5% et 1,7%), l’ampleur des croissances diverge. Selon le comité de prévision, l’année 2014 verrait une croissance stable de l’emploi (+1,7%) tandis qu’en 2015, la croissance de l’emploi intérieur augmenterait fortement pour atteindre 2,3%. Les prévisions de la Commission européenne sont plus mitigées et tablent sur une croissance de l’emploi de 1,5% en 2014 et de 1,7% en 2015. Quoi qu’il en soit, le taux de chômage continuera à augmenter tant aux yeux du CP que de la Commission européenne.
L’évolution des finances publiques, présentée par le CP, me laisse également perplexe. En effet, alors que dans le projet de plan budgétaire du 15 octobre, le déficit budgétaire pour 2013 est estimé à 0,9% du PIB (413 millions EUR) dans le chef de l’Administration publique et à plus d’un milliard EUR (2,3%) dans le chef de la seule Administration centrale, la santé des finances publiques s’est soudainement et tout aussi prodigieusement améliorée au 7 novembre 2013 dans la note au Formateur, le déficit de l’Administration publique passant à 0,2% et celui de l’Administration centrale à 1,8% ; conséquence directe d’un doublement des prévisions de croissance pour l’année 2013 (de 1% le 15 octobre à 2% le 7 novembre), mais aussi d’investissements publics en baisse de plus de 10% en 2013 par rapport à 2012. La Commission européenne, quant à elle, maintient sa prévision de -0,9% du PIB en 2013 en ce qui concerne le déficit de l’Administration publique.
Cette amélioration, qui peut être qualifiée de quasi miraculeuse, du solde public pour 2013 entre le 15 octobre et le 7 novembre ne doit pas être l’objet d’un optimisme démesuré au vu des évolutions attendues à moyen terme : déficit de 1,0% du PIB en 2014 et 2,7% en 2015 selon la Commission ; déficit de -0,4% du PIB en 2014 et de 2,1% en 2015, selon le CP. Ces soldes sont parmi les plus négatifs dans l’histoire du Luxembourg et la situation est pire au niveau de l’Administration centrale (-1,7% du PIB en 2014 et -3,4% en 2015), or le solde de l’Administration publique, tel que communément considéré au niveau de l’Union européenne, n’est guère révélateur de la santé des finances publiques au Luxembourg, du fait de sa situation spécifique au niveau du surplus momentané, et non durable, du solde de la sécurité sociale.
Le tableau concernant les finances publiques est donc sombre et les perspectives inquiétantes, et ce en raison de deux évolutions concomitantes : un frein dans l’évolution des recettes et un coup accélérateur dans l’évolution des dépenses.
Hausse des dépenses relatives aux aides financières au bénéfice des étudiants, hausse des dépenses du fonds pour l’emploi en raison de la faiblesse du marché du travail, possible effet de l’accord salarial dans la fonction publique en 2015, avec pour conséquence un accroissement des rémunérations, sont autant d’éléments qui vont peser sur les dépenses publiques luxembourgeoises.
Du côté des recettes, la faiblesse conjoncturelle amoindrit les revenus de l’Etat, les cotisations sociales sont en berne, recettes fiscales et TVA sur le commerce électronique vont chuter (entre 600 millions et 1,1 milliard EUR d’après différents scénarii), les accises devront être augmentées en vertu des obligations communautaire, etc.
De plus, la majorité des réductions des dépenses reprises dans les mesures de consolidation prises pour 2011 à 2013 était ponctuelle (effet sur une année), tandis que les hausses d’impôt sont presque toutes structurelles. Rappelons au passage que le comité de prévision postule que la nouvelle donne en 2015 dans le secteur financier n’entraînera ni de « choc négatif », ni une « baisse structurelle de la profitabilité du secteur financier », ni même à court terme. Des prévisions établies en vertu du principe de prudence dépeindraient une toute autre image.
En parallèle, les réalités sur le terrain restent mitigées, sinon inquiétantes : les coûts de production des entreprises augmentent, leurs marges diminuent, leur capacité à affronter la concurrence aux niveaux de la Grande Région et international diminue, les perspectives sont médiocres au sein de l’industrie manufacturière (surtout en ce qui concerne la transformation des métaux) et du secteur de la construction. En effet, l’industrie poursuit sa tendance baissière en 2013 (-2,6% en termes de valeur ajoutée créée par rapport au 2e trimestre 2012). Les enquêtes de conjoncture menées auprès des chefs d’entreprises de l’industrie et de la construction au cours du mois d’octobre 2013 ne fournissent guère de messages positifs et l’insuffisance de la demande est à nouveau pointée comme un important frein à l’activité. Quant au secteur financier, il poursuit sa consolidation. En outre, la pression internationale sur le business model luxembourgeois reste élevée.
De plus, la faiblesse au sein de la gouvernance économique et financière se répercute négativement sur la productivité des facteurs de production, engendrant ainsi des pertes d’efficience, de productivité, et in fine de compétitivité. Le cercle vicieux est enclenché puisque cette perte de performance des entreprises et la faiblesse de l’activité réduiront les recettes fiscales de l’Etat.
L’approche comptable et statique du CP fait abstraction des effets négatifs d’une politique inchangée et des risques d’une spirale descendante ayant des conséquences irréversibles : risque de perte de la note AAA avec un impact sur paiement de la charge d’intérêt, hausse du chômage, effets induits à plus long terme (baisse de la confiance des investisseurs et des consommateurs, faible propension à investir, à recruter et à consommer, baisse continue de la croissance potentielle (externalités négatives d’une telle dégradation sur les perspectives des jeunes, la qualité de l’enseignement, etc.)).
Il est à souhaiter que le nouveau gouvernement ne se base pas sur des hypothèses macroéconomiques et conjoncturelles trop optimistes, et ce pour diverses raisons.
- Premièrement, la volatilité importante des performances économiques du Luxembourg et des indicateurs sous-jacents, rend difficile l’établissement de prévisions fiables et nécessite des révisions a posteriori répétées.
- Deuxièmement, le Luxembourg est très vulnérable et dépendant de décisions étrangères (aux niveaux politique, économique et du point de vue stratégie des entreprises), sur lesquelles elle n’a que peu, ou pas, d’influence.
- Troisièmement, la croissance reste largement en-deçà des moyennes historiques (comme d’ailleurs souligné par le CP), ce qui met en question et en péril la continuité du business model as usual qui requiert une croissance de 3-4% par année.
- Quatrièmement, à supposer que la conjoncture s’améliore rapidement, les problèmes structurels sous-jacents au modèle socio-économique traditionnel du pays ne sont pas résolus (au mieux, les effets et impacts afférents pourraient être limités ou reportés).
- Cinquièmement, si la crise actuelle devait s’aggraver ou si une nouvelle crise devait éclater dans quelques années, le Luxembourg ne dispose plus de réserves pour accompagner ses effets négatifs. Si la situation devait s’améliorer, alors il faut absolument utiliser les plus-values pour assainir les finances publiques, baisser l’endettement et reconstituer des réserves.
- Finalement, les risques majeurs pesant sur notre régime de pension ne vont se matérialiser qu’à moyen terme. Par ailleurs, les comptes de la Caisse Nationale de Santé ne sont en équilibre aujourd’hui que grâce à une présentation des comptes qui omet les indispensables provisions pour dettes envers l’étranger. Mais les prévisions des deux branches de la Sécurité sociale ont en commun une évolution qui les amène vers des déficits chroniques.
Les analyses, évolutions et tendances sont connues, de longue date parfois, et sont toutes sur table : l’urgence de la situation ne peut être niée et des chiffres sur le Luxembourg, produits et compilés à Luxembourg, en apparence plus positifs, ne doivent pas cacher le besoin de réformes profondes. En effet, le programme du prochain gouvernement doit privilégier l’action et les réformes, notamment autour du principe « faire mieux avec moins ».
Cher Carlo,
A part la “main invisible” d’Adam Smith, je ne vois aucun miracle.
La science économique est une discipline lugubre quiI laisse peu de place à une imagination échevelée.
Nous renviendors sur une série des questions soulevées dans la Note de Conjoncture du STATEC qui sortira le 28 novembre. On pourra en reparler.
ok, Merci pour ton commentaire, Serge. Nous lirons avec intérêt la prochaine Note de Conjoncture. A bientôt. Carlo