Le Gouvernement a déposé le projet de budget 2015 à la mi-octobre. Si la forme était inhabituellement compacte – à savoir une clef USB – le contenu était passablement fourni avec quatre documents principaux (le projet de budget au sens strict, le nouveau budget pluriannuel, …) représentant au total 1.300 pages. Son examen fut un véritable défi, d’autant que la structure du budget a subi d’importantes mutations.
La Chambre de Commerce publiera son avis le lundi 17 novembre. Il est cependant d’ores et déjà évident que le « projet de budget 2015 » (terme générique que j’emploie ici pour ne pas citer tous les documents concernés) est à double visage, comme le Dieu romain Janus. Si le projet renferme nombre de points positifs, chacun d’entre eux recèle en même temps divers aspects problématiques. Les quatre éléments suivants me semblent très illustratifs à cet égard.
Le format même du budget tout d’abord : il contient un projet de budget pluriannuel, qui renferme notamment l’évolution des différents crédits budgétaires de l’Etat central, de 2014 à 2018. Il permet à l’analyste de scruter la politique budgétaire jusqu’en 2018, au chef d’entreprise de mieux appréhender l’évolution du contexte fiscal d’ici 2018 et je dirais même au chef de ménage de mieux appréhender le financement des prestations familiales ou autres. Revers de la médaille : ce tableau pluriannuel ne concerne que l’Etat central, selon la comptabilité budgétaire « luxembourgeoise ». Il n’est pas accompagné de tableaux pluriannuels ventilant de manière détaillée les recettes et dépenses de l’ensemble des administrations publiques (notamment les communes), conformément à la comptabilité « européenne » SEC 2010. Or c’est bien cette présentation qui donne le ton dans le cadre de la gouvernance européenne des finances publiques (« règle d’or budgétaire » notamment). En outre, la logique par ministères continue à prédominer, au détriment d’une approche par programmes, missions et actions plus conforme à une logique de résultats. Une telle « révolution » ne peut certes s’accomplir du jour au lendemain, comme le montrent diverses expériences étrangères. Raison de plus pour maintenir la cadence, voire accélérer la mouvance en la matière, pour transformer ces évolutions en une véritable révolution.
Un autre aspect d’importance : la trajectoire d’assainissement des finances publiques. Le principal objectif budgétaire du Gouvernement est un surplus structurel de 0,5% du PIB. La trajectoire pluriannuelle vers cet objectif est désormais bien décrite au sein du projet de budget lui-même et non pas seulement en avril dans le cadre du « Programme de Stabilité ». Cette clarification est louable, mais je suis convaincu qu’un surplus de 0,5% du PIB ne suffira pas à faire face aux défis présents et futurs du Luxembourg. Compte tenu en particulier de la très vive progression attendue des dépenses futures de pension, de santé et d’assurance dépendance, un surplus structurel de 1,3% du PIB ou même davantage s’imposerait. Le respect de l’objectif budgétaire exige en outre une maîtrise « de tous les instants » des dépenses publiques. Le projet de budget repose sur une progression des dépenses publiques historiquement faible d’ici 2018 ce qui est bienvenu, mais irréaliste en l’absence d’un encadrement strict des dépenses.
Je constate une même dualité en ce qui concerne les mesures de consolidation budgétaire. Elles sont décrites avec plus de précision qu’à l’accoutumée et certaines sont même incisives. Je pense notamment à l’abolition des allocations d’éducation et de maternité. Je regrette cependant que le paquet d’assainissement repose pour l’essentiel sur de nouvelles hausses d’impôts, en particulier la TVA et le prélèvement « d’avenir », qui ne vont certainement pas renforcer la compétitivité déjà en berne, faire baisser le chômage et donner lieu à des investissements supplémentaires.
Enfin, je me félicite de l’institution prévue d’un fonds souverain au Luxembourg. De tels fonds ont accumulé des actifs considérables dans divers pays constituant, à l’instar du Luxembourg, de petites économies ouvertes confrontées à nombre de recettes publiques vulnérables (on songe par exemple au « Tanktourismus », à la taxe d’abonnement, etc.). Le fonds souverain permettrait de ne pas utiliser ces recettes vulnérables pour financer des dépenses récurrentes. Il devrait également garantir une gestion plus transparente, dynamique et cohérente des avoirs de l’Etat. Cependant, il est essentiel qu’un tel fonds puisse réellement monter en puissance, ce qui suppose des versements annuels bien supérieurs aux dotations de l’ordre de 50 millions d’euros actuellement envisagées.
Une chose est sûre en tout cas : le nouveau projet de budget fera encore « couler beaucoup d’encre » en raison des innovations qu’il renferme mais également des défis ou insuffisances qu’il met en exergue.
Pour Rappel Janus est un dieu à une tête mais deux visages opposés, gardien des passages
et des croisements, divinité du changement, de la transition,
“En outre, la logique par ministères continue à prédominer, au détriment
d’une approche par programmes, missions et actions, plus conforme à une
logique de résultats.” Bref tel est un des principaux défis d’une “reforme de la fonction publique”passer d’une logique interne en silos à une logique externe en services. En particulier rationaliser par une mutualisation des activités.
“ce tableau pluriannuel ne concerne que l’État central, selon la
comptabilité budgétaire «luxembourgeoise». Il n’est pas accompagné de
tableaux pluriannuels ventilant de manière détaillée les recettes et
dépenses de l’ensemble des administrations publiques (notamment les
communes), conformément à la comptabilité «européenne» SEC 2010.”
Est ce que le parlement Luxembourgeois sera amené à voter le budget des communes ? Sinon ce focus sur les dépenses de l’état peut se comprendre.
En l’état ce projet de budget “en tant que gardien d’une transition et d’un changement” peut bien être comparé à Janus 🙂