Ça y est. Le 21 janvier 2015, le conseil de gouvernement a donné corps à une déclaration essentielle de son programme en approuvant le projet de loi « ayant pour objet d’instituer la société à responsabilité limitée simplifiée ». Au fil des années, la Chambre de Commerce s’en est faite un fervent défenseur, notamment en publiant, en 2011 déjà, un bulletin dans la série « Actualité & tendances » au sujet d’une Sàrl simplifiée (Sàrl-S), encore couramment appelée « société à un euro ». C’est donc avec grande satisfaction que je prends acte de ce projet de loi novateur, car j’estime qu’il s’agit d’un formidable moyen non seulement de stimuler l’innovation, mais aussi de promouvoir l’esprit d’entreprise et la création d’entreprises, sources de richesses et d’emplois. Last but not least, il s’agit d’un élément de réponse aux mutations de l’économie luxembourgeoise, de plus en plus orientée vers la prestation de services ou vers des activités nécessitant souvent seulement une bonne idée, un client et un ordinateur portable connecté à Internet. Reste à espérer que le coup de fouet à l’activité entrepreneuriale donné par la Sàrl-S puisse rapidement aboutir et que le dossier passe rapidement la procédure législative.
Si je devais synthétiser les principaux avantages d’une Sàrl simplifiée, j’insisterais tout d’abord qu’une telle forme sociétaire permettra à une certaine population d’entrepreneurs « de se lancer » à coût très modéré – peu de formalismes à la création au-delà du droit d’établissement, absence d’obligation de constituer un capital minimum au-delà d’1 € – tout en adoptant un véhicule sociétaire lequel sépare clairement le patrimoine privé de celui affecté à l’activité professionnelle. Une telle forme sociétaire pourrait notamment plaire à des consultants indépendants ou à des entrepreneurs en e-commerce. Elle pourrait également intéresser un groupe d’étudiants voulant se lancer ensemble dans le monde des affaires ou encore un entrepreneur qui souhaite, dans une première phase, tester son « Business Model » avant de se lancer « grandeur nature ».
Il s’agit avant tout d’une population d’entrepreneurs en herbe qui, dans l’état actuel des choses, ne serait probablement pas « passée à l’acte », ou du moins pas tout de suite. En d’autres termes, il devrait en première ligne s’agir de nouvelles activités entrepreneuriales, d’activités additionnelles. En effet, il semble avéré que beaucoup d’idées entrepreneuriales, voire des projets entrepreneuriaux, ne se concrétisent pas à cause de la barrière des quelque 13.000 EUR requis pour monter une Sàrl « classique ». L’alternative actuelle est de se lancer sous forme d’entreprise dite individuelle, donc en tant qu’entrepreneur-personne-physique. Or, cette alternative ne donne aucune protection à la personne physique et privée qu’est (aussi) l’entrepreneur, et notamment à son patrimoine privé, ce qui influence bien sûr la décision de poursuivre, ou non, une activité entrepreneuriale. La Sàrl-S est sans doute l’outil idéal pour pallier à ce dilemme.
La nécessité de donner lieu à une forme sociétaire simplifiée doit aussi être considérée comme étant une réaction par rapport à des évolutions similaires chez nos concurrents économiques. En effet, le Luxembourg n’est guère pionnier à cet égard, nos pays voisins disposant déjà à l’heure actuelle d’un véhicule de ce type, notamment l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée en France (patrimoine d’affection), la Mini-GMBH en Allemagne – dont le nombre a franchi le cap de 100.000 fin 2013 – ou encore la SPRL Starter en Belgique et plus récemment la Flex BV au Pays-Bas. L’introduction de la Sàrl-S complètera l’arsenal des structures légales existantes au Luxembourg par un véhicule moderne et contemporain. De plus, dans les classements tels que le « Doing Business » de la Banque Mondiale – qu’on peut objectivement critiquer quant à sa forme et quant au fond mais qui jouit tout de même d’une grande visibilité parmi les investisseurs étrangers et qui leur sert de référence et d’outil de prise de décision, qu’on le veuille ou non – l’introduction de la Sàrl-S permettra au Luxembourg de grimper les échelons pour se rapprocher des meilleurs de la classe au lieu de poireauter dans le milieu de tableau. La Sàrl-S contribuera donc également à la dynamisation de l’image de marque et de la compétitivité du Luxembourg.
Un volet qui me semble par ailleurs souvent absent des discussions relatives à l’introduction de la Sàrl-S est que cette innovation permet également de contribuer à lutter contre le fléau du chômage, qui plafonne à un niveau record et qui a du mal à s’inverser. L’entrepreneur qui monte son Sàrl simplifiée crée d’abord son propre emploi, et le cas échéant des emplois supplémentaires. Il pourrait dès lors s’avérer intéressant de promouvoir l’activité entrepreneuriale, et le recours au dispositif de la Sàrl-S en particulier, parmi les demandeurs d’emploi qui se sentent motivés et inspirés par une bonne idée et un projet porteur.
Je l’ai dit, le Luxembourg n’est pas le premier pays à introduire une forme sociétaire simplifiée. Si l’adage « mieux vaut tard que jamais » garde toute sa pertinence, il est vrai aussi que le Luxembourg a ainsi pu puiser, aux fins de la mise au point de « sa » Sàrl-S, dans de nombreuses législations européennes déjà existantes. Ceci constitue sans doute un plus. Simple « variante » d’une forme très connue et dûment établie, la Sàrl, la Sàrl-S peut se créer sous seing privé, avec un capital social de départ d’un euro, et sans obligation de la transformer, après un certain nombre d’années, en Sàrl « classique » (même si l’exposé des motifs du projet de loi considère la Sàrl-S comme étant une forme sociétaire « transitoire »). Les coûts de création d’une Sàrl-S sont estimés à 191 EUR par les auteurs du projet de loi, contre quelque 13.000 EUR pour une Sàrl (dont 12.394,68 EUR pour constituer le seul capital social minimum). Les intéressés peuvent s’adresser notamment à la Chambre de Commerce pour recevoir sans frais un modèle de statuts pour la Sàrl-S et un conseil personnalisé et ciblé.
La simplicité et le caractère abordable sont donc les maîtres-mots. Toutefois, plusieurs glissières de sécurité sont également prévues, ce qui semble tout à fait pertinent afin de donner lieu à une concurrence loyale et pour protéger les intérêts des parties prenantes des Sàrl-S. Ainsi, la Sàrl-S est réservée aux seules personnes physiques devant disposer d’une autorisation d’établissement. Il s’agit donc bien de favoriser l’entrepreneuriat de proximité, et non la structuration d’entreprises. Il est également prévu qu’à une personne physique ne peut être associée qu’une seule et unique Sàrl-S et que 5% du bénéfice net annuel doit être affecté à un fonds de réserve, obligation qui subsiste jusqu’à ce que le montant du capital augmenté de la réserve atteigne le montant du capital minimum (12.394,68 EUR) d’une Sàrl classique. Par ailleurs, l’introduction d’une Sàrl simplifiée pour compléter notre arsenal de structures sociétaires ne doit pas résulter en une prolifération des faillites, déjà (trop) nombreuses au Luxembourg. Ainsi, il sera sans doute utile d’évaluer la nouvelle loi à cette aune, quelques années après sa mise en œuvre. A cet égard, le projet de loi n° 6539 relatif à la préservation des entreprises et portant modernisation du droit de la faillite déposé à la Chambre des Députés le 2 février 2013 prévoit dans son volet préventif l’instauration d’un certain nombre de clignotants qui devraient permettre de détecter à temps les entreprises en difficulté et éviter ainsi un certain nombre de faillites. Ledit projet de loi est en cours d’instance législative et doit encore être avisé par le Conseil d’Etat.
Récapitulons. La Sàrl-S est une chance et une opportunité pour le Luxembourg. Elle permet d’intéresser à l’entrepreneuriat une frange de la population jusqu’à présent écartée. Elle est une réponse efficace aux mutations de notre tissu économique. Elle est une illustration comme une autre des efforts de simplification administrative. Elle est assortie de plusieurs « garde-fous » afin qu’elle puisse être mise en œuvre sans heurts. En donnant ainsi une vraie chance aux « petits » entrepreneurs, le Luxembourg arrive dans la cour des « grands ». Et ce sont toujours les petits ruisseaux qui font les grandes rivières…
Bonjour,
—Est ce que ce projet de loi de Sàrl simplifiée permettra de créer sa SARL en 1 jour ? fluidifiera t’il le paiement des cotisations sociales et autres impôts ?
Autre Point : Je suis d’accord avec vous sur le faît que cette politique de petits pas permettra une opportunité de l’amélioration de l’esprit d’entreprise et autre opportunité d’affaires et modèles économiques (eg. faire évoluer le modèle de fiduciaire d’entreprise en fiduciaire d’individus ?)
Question au chef économiste de la CdC : Est ce le modèle fiscal luxembourg sera t’il amené à évoluer en particulier permettre au particuliers “Individus-Entreprises” d’optimiser leurs fiscalité comme ce qui est le cas pour les autres entreprises ….
Bref beaucoup de défis et donc beaucoup de questions ?
Merci pour votre réaction.
En principe, l’idée de la sàrl-S est de simplifier le processus de création d’entreprises en vue de stimuler l’esprit d’entreprise, un objectif hautement important au Grand-Duché parmi la population résidente. En principe, il sera possible de créer une telle structure en une journée. Quant au paiement des cotisations sociales et des impôts, cette structure ne devrait pas présenter des différences par rapport à « la grande sœur » qui est la sàrl normale.
Pour ce qui est de la fiscalité, celle-ci est en principe plus avantageuse pour les « structures transparentes » que pour « les structures opaques ». La première peut prendre en compte la situation individuelle par une progressivité du barème tandis que les entreprises opaques sont imposées forfaitairement. Ce gap a historiquement joué en défaveur des structures opaques. La politique a essayé ces dernières années de réduire cette divergence de sorte que les différences jouent aujourd’hui plutôt en défaveur de l’entrepreneur individuel quand il est très profitable (imposition au taux marginal, qui est supérieur au taux de l’impôt sur les sociétés). La sàrl-s devrait à mon avis suivre en matière de fiscalité le modèle d’autres pays qui laissent le choix à l’entrepreneur de pouvoir opter pour une des deux formes d’imposition: impôt sur les sociétés ou impôt sur le revenu des personnes physiques, comme en France, par exemple. Mais toutes ces questions seront probablement traitées sans le contexte de la prochaine réforme fiscale. On pourrait s’imaginer d’associer un régime fiscal spécifique aux sàrl-S : par exemple, pendant les premières 3 années d’existence d’une sàrl-S, les premiers 100.000€ de chiffre d’affaires seraient exonérés d’impôt sur le revenu. Histoire de donner un peu de souffle pour réinvestir le bénéfice dans la jeune entreprise. Sujet à réflexion donc …
Quelle est la date estimée d’entrée en vigueur de la loi et donc l’arrivée concrète de ce nouveau modèle de société ?
Bonjour. Je vous remercie de ce très intéressant article. Outre les coûts de création et les impôts,je suppose que toute activité exercée au sein de la Sàrl simplifiée nécessitera une couverture par une assurance en responsabilité civile. Peut-être faut-il le mentionner? Pour information,je ne vends pas d’assurance. Je souhaite en revanche créer ma société de prestations de services à Luxembourg. Bien à vous,Anne-Sophie
Bonjour,
Est-ce que ce type de société est déjà possible?
Merci
La Sàrl simplifiée n’existe pas encore dans le paysage des sociétés commerciales luxembourgeoises, en attendant le vote (espérons-le dans les plus brefs délais…) du projet de loi concerné à la Chambre des Députés. Or, il est déjà possible aujourd’hui de développer une activité sous forme d'”entreprise individuelle”, cette dernière ne requérant pas de capital minimal, mais avec l’inconvénient majeur de la non-séparation du patrimoine affecté à l’activité du patrimoine personnel de l’entrepreneur concerné.