Pour les partis politiques et les commentateurs de la vie socio-économique, dans le soi-disant « creux estival », il est de coutume de revenir en arrière, de commenter ce qui a été fait, mais surtout pour parler de ce qui doit être fait à la rentrée, qui s’annonce presque traditionnellement « chaude » au Luxembourg. A travers ce blog, je souhaite certes contribuer à un tel débat, mais en l’abordant différemment. En effet, sous la signature du Chancelier de l’Echiquier, le Royaume-Uni – notre deuxième partenaire commercial pour les services et le sixième pour les biens – a récemment vu la publication du document stratégique « Fixing the foundations – Creating a more prosperous nation ». Ce rapport, a priori sans lien direct avec le Luxembourg, se révèle être une lecture tant passionnante qu’instructive et le lecteur s’aperçoit vite que nombre de défis qui y sont abordés, mais surtout les leviers d’actions pour les transformer en opportunités, ne se distinguent guère, que l’on considère un Royaume-Uni outre-manche ou un Grand-Duché continental.
L’élément fédérateur et le fil rouge du rapport est le thème de la productivité – qui est identifiée d’emblée, tout comme l’emploi, comme moteur du niveau de vie de la population – et les moyens pour la stimuler. Et pour cause, au Royaume-Uni, le terme de « productivity puzzle » est devenu un sujet récurrent du débat économique. C’est le fait d’un constat préoccupant: la productivité britannique a fortement baissé durant la crise de 2008 et ne s’est que faiblement – et partiellement – redressée depuis. Le constat est le même au Luxembourg : fin 2013, la production réelle, mesurée par la valeur ajoutée réelle par heure travaillée, demeure même légèrement inférieure au niveau atteint en 2008. Le seul véritable contributeur à la croissance économique luxembourgeoise était ainsi l’emploi (+10% sur la période).
Fort de bons résultats en termes d’emploi, de réduction des déficits publics et de croissance, le gouvernement du Royaume-Uni – patrie du laisser-faire – aurait pu se laisser aller, se contenter des résultats observés. Or, il n’en est rien car au-delà des bons résultats courants, la faiblesse des gains de productivité dans le pays est une épée de Damoclès car les gains de productivité sont, sur le long terme, la principale source de hausse du niveau de vie d’une population, et le plus soutenable vecteur de croissance. Le défi étant titanesque, le document annonce une réforme en profondeur de l’économie britannique, comparable à l’agenda 2010 de l’Allemagne.
Des défis partagés…
Le Luxembourg pourrait utilement s’inspirer de cette « roadmap » britannique. En effet, comme la Grande-Bretagne, le Luxembourg est confronté à nombre de défis sur le plan économique. Au moins quatre d’entre eux, parmi les plus importants, s’apparentent aux défis mis en exergue dans le document britannique :
- La nature de la croissance économique, très extensive dans les deux pays : elle repose plus sur la croissance de l’emploi que sur la productivité. L’ambition première du Gouvernement britannique est ainsi de renforcer la productivité au moyen d’un programme complet, jouant sur deux grands piliers : les investissements à long terme – matériels et immatériels – et des réformes renforçant les incitants et le dynamisme économiques.
- Un effort de R&D privée encore trop timide actuellement et la nécessité de valoriser davantage les résultats de la recherche publique.
- Une insuffisance chronique de l’offre de logements par rapport à la demande afférente.
- Une place importante des marchés financiers dans les deux pays et la nécessité de solidifier à la fois la place financière et de diversifier davantage le tissu économique.
… et des remèdes britanniques des plus pertinents
L’état des lieux étant dressé, le rapport présente un grand nombre de pistes très opérables permettant de renouer avec une croissance plus intensive, avec à la clef des gains de productivité potentiellement très significatifs. Citons-en quelques-unes.
Une volonté de simplification administrative tout d’abord, notamment dans le domaine de l’aménagement du territoire et du logement. Au cours de la législature précédente par exemple, le « National Planning Policy Framework » est passé de … 7.000 pages à un simple guide en ligne. Par ailleurs, sont prévues une accélération de la délivrance des permis (de bâtir, etc.) et moins de régulation à l’encontre du secteur de la construction. La simplification administrative « made in Britannia » à vitesse… TGV.
Le Royaume-Uni mise par ailleurs sur un environnement général plus favorable aux entreprises. En matière d’impôt sur les sociétés par exemple, le taux nominal d’imposition était de 30% jusqu’en 2007. Ce taux est revenu à 20% en 2015. Le Gouvernement s’engage à poursuivre ces efforts : le taux serait ramené à 18% en 2020. Il va également s’attacher à améliorer le traitement fiscal de la R&D privée : une livre d’impôt en moins pour les sociétés liée aux crédits fiscaux en matière de R&D se traduirait par une augmentation des dépenses privées de R&D comprise entre 1,5 et 2,3 livres. De quoi inspirer les auteurs de la réforme fiscale luxembourgeoise !
Vient ensuite la stimulation des exportations, vers les BRICS notamment. Il est ainsi prévu de mobiliser le gouvernement entier derrière la nécessité d’augmenter le commerce extérieur. Le Royaume-Uni rappelle dans ce contexte aussi son soutien sans faille vis-à-vis de l’ouverture du commerce international: selon le Gouvernement, se basant sur des estimations de la Commission européenne, le simple fait de finaliser les accords commerciaux internationaux en cours (dont le TTIP) aurait pour effet à terme d’augmenter le PIB de l’UE de 2,2%. Est également citée la nécessité d’accélérer et de parfaire l’intégration au sein du marché unique européen. Le Luxembourg, en tant que nation fortement exportatrice et « laboratoire européen », devrait faire siennes ces intentions en matière de commerce extérieur, et notamment profiter de « sa » Présidence européenne pour contribuer à achever le marché unique et pour passer à une vitesse supérieure aux fins de la conclusion effective des accords de libre-échange actuellement en discussion.
Par ailleurs, les auteurs insistent sur la nécessité d’un meilleur ciblage des prestations sociales, afin d’encourager le travail chez les titulaires de revenus plus faibles. Cette mesure irait certes de pair avec une revalorisation du salaire minimum britannique, mais doit également s’accompagner d’une augmentation de certains incitants fiscaux pour les entreprises. En outre, le Royaume-Uni dispose en matière de SSM d’une considérable marge par rapport au Luxembourg: en 2013 et en parités de pouvoir d’achat, le SSM luxembourgeois dépasse son homologue britannique de 35%… Les mesures d’activation, la revalorisation du travail vis-à-vis de l’inactivité et la nécessaire montée en puissance de la sélectivité sociale… autant de sujets pour lesquels le Grand-Duché dispose d’une marge d’action encore significative.
Citons ensuite la stratégie de long terme dans de nombreux domaines. Les investissements publics par exemple, à travers la mise en place d’une stratégie d’investissements routiers sur la période 2020-2025 et d’un « National infrastructure plan », ce plan faisant l’objet d’actualisations annuelles. Les autorités britanniques vont jusqu’à prévoir l’évolution des congestions sur les voies routières stratégiques jusqu’en 2040 afin de poser les bons jalons dès maintenant. Mieux vaut en effet prévenir que guérir.
Est par ailleurs mise en avant la nécessité de miser sur les investissements, en infrastructures, en termes de capital humain, de R&D, d’énergie. Il y aurait notamment lieu de promouvoir l’éducation (évaluation des établissements sur la base des résultats), la formation et les technologies nouvelles (effort en matière de numérique), et ce sans négliger les compétences techniques et professionnelles (important gisement d’emplois futurs selon le Gouvernement britannique).
Citons, pour finir, le soutien voulu au secteur financier à travers un renforcement de la FinTech, avec l’ambition de faire du Royaume-Uni « the leading FinTech centre in the world ». Voilà de quoi inciter le Luxembourg à poursuivre sur la voie – dûment engagée – de l’approfondissement de son propre centre financier et pour, ainsi dire, de jouer quelque peu aux « troubles fêtes », sachant par ailleurs que les deux places financières (et les tissus économiques en général) font apparaître sans aucun doute davantage de complémentarités que de situations directement concurrentielles.
L’intégration européenne : l’élément qui peut faire pencher la balance
Le TTIP, l’approfondissement du marché unique, la stratégie numérique européenne, l’Union énergétique, l’Union des marchés de capitaux (en visant particulièrement le financement des PME)… toutes ces initiatives (européennes !) sont saluées par le gouvernement britannique et pourraient « help deliver a Europe that is more dynamic and outward focused ». L’approfondissement de ces dimensions par l’UE présente d’importants mérites sur le plan économique et social. Une inaction ou un manque d’ambition sur ces dimensions pourraient par contre faire remonter l’euroscepticisme outre-manche et constituer, au-delà d’une possible réaction de dépit britannique, un pas en arrière pour l’Europe et donc pour le Luxembourg, et donc aussi pour les entreprises et les citoyens.
Par ailleurs, le scénario d’euroscepticisme extrême, à savoir le « oui » au référendum de mi-2016 portant sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE, affaiblirait significativement l’Europe sociale du marché. A contrario, un approfondissement du marché unique et des avancées au niveau des accords de libre échange limiteraient le risque du spectre du « Brexit », donc de fragmentation de l’UE, dont la cohésion a déjà été menacée par l’évocation du « Grexit ». Seule une UE connaissant un développement économique durable et une croissance équilibrée parviendra à maintenir durablement sa cohésion et à éviter le double écueil du Brexit et du Grexit – qui constitueraient deux considérables échecs pour le processus d’unification européenne.
Quelles « lessons learned » pour le Luxembourg ?
A l’instar du Royaume-Uni, les perspectives de l’économie luxembourgeoise à long terme dépendront en grande partie de la capacité du pays à redresser son niveau de productivité (et donc à créer de la valeur). Le plan du Royaume-Uni regorge d’indications – et les chantiers identifiés sont les bons – sur ce qui peut être fait afin d’augmenter la productivité : diversification économique, développement de l’apprentissage et meilleurs résultats à attendre du secteur éducatif, diversification géographique des exportations, moindre dépendance de l’économie au secteur public via la productivité du secteur public, assouplissement de la réglementation, investissement dans les infrastructures de transport, extension des dispositifs de déduction d’impôts en faveur de l’investissement productif, et surtout la volonté de doter le Royaume-Uni de l’environnement fiscal le plus compétitif des pays du G20, ce qui permettra aux entreprises d’investir et aux talents – qu’ils soient travailleurs hautement qualifiés ou créateurs de start-ups – de vouloir s’installer en Grande-Bretagne.
Un Etat-stratège ambitieux, des marchés ouverts, des salariés qualifiés et un investissement dans le capital humain et matériel, des entreprises compétitives et productives : voilà les ingrédients d’un partenariat gagnant-gagnant pour l’avenir et au bénéfice des citoyens. Le Luxembourg n’a pas été inactif sur ces fronts, loin s’en faut. Mais au vu des initiatives et actions proposées et implémentées en Grande-Bretagne et ailleurs, il faut réagir résolument au Luxembourg et passer à une vitesse supérieure dans la mise en œuvre des changements et des réformes.
J’espère que la rentrée sera chaude d’un point de vue météorologique, clémente d’un point de vue social et radieuse sur le front économique.
En attendant… bonnes vacances à tous les lecteurs !
Cher Carlo,
Le Grand-Duché de Luxembourg a beaucoup de chance de compter parmi ses dirigeants des gens comme vous qui posent un regard lucide et plein d’affection visant à rendre la vie de tous les concitoyens meilleure. La flexibilité, la créativité et le travail sont en effet la contribution des citoyens au bien commun. Aux politiques, la tâche acrobatique d’inspirer et de donner l’envie pour créer le mouvement.
David Thonon
Un grand a(d)mi(rateur) du GDL.
oui l angleterre est 1 exemple a suivre.pour reussir. il faut faire etre pragmatique et non dogmatique ou politique.il faut faire comme les meilleurs ru Allemagne suisse Singapour pays bas.en general 1 faible depense publique 1 faible fiscalite 1 faible dette et arreter ce keynesianisme a tout va qui gonfle les dettes et tue la croissance.on sait ce qui marche et ce qui ne marche pas .apres il ne faut pas s etonner des résultats de certaines mesures
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