La rentrée constitue toujours un moment propice pour dresser un état des lieux de la situation socio-économique actuelle et prévisible, au Luxembourg et ailleurs.
La situation de l’économie mondiale
D’après les récentes perspectives économiques intérimaires de l’OCDE, l’économie mondiale est dans une situation d’équilibre instable et de grandes incertitudes.
L’économie américaine va bien, mais la « qualité » de la croissance outre atlantique pose question dans la mesure où, contrairement aux épisodes précédents de reprise, l’investissement y reste décevant. Certains observateurs se demandent même si les Etats-Unis ne connaissaient pas une reprise bas de gamme. Au delà de cette question, une décision américaine à venir – la première hausse de taux de la FED depuis la crise – occupe tous les esprits : quand interviendra-t-elle, et surtout en appellera-t-elle d’autres, à quel rythme, et avec quels effets sur les économies émergentes? Car ces économies, qui avaient plutôt bien résisté à la crise, semblent avoir perdu de leur superbe, à l’exception notable de l’Inde, dont le taux de croissance devrait dépasser celui de la Chine cette année. Ce ralentissement des économies émergentes s’explique notamment par la réorientation de l’économie chinoise, qui les pénalise via le canal des échanges commerciaux (baisse des exportations vers la chine, baisse des cours de matière première). De la capacité de la Chine à réussir sa transition vers une économie davantage assise sur la demande intérieure et des autres pays émergents à rebondir dépendra donc, pour partie, le sentier de croissance que suivra l’économie mondiale.
La situation de la zone euro
La zone euro continue sa lente, insuffisante, et inégale reprise. Malgré de forts vents favorables (faiblesse des taux d’intérêt, faiblesse des cours de matières premières, dépréciation de l’euro), elle ne devrait croître que de 1,6% en 2015. Cette incapacité de la zone euro à bénéficier pleinement de cet alignement d’astres favorables s’expliquerait en partie, d’après la BCE, par l’endettement des secteurs public et privé qui demeure à des niveaux très élevés, par le niveau du chômage structurel qui reste également élevé, par la lenteur dans la mise en œuvre des réformes structurelles qui continuent de freiner les dépenses d’investissement, et par les nombreux défis institutionnels qui restent à relever pour faire de la zone euro une véritable « Union » économique. Dans ce contexte, le Plan Juncker pour les investissements, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, les projets d’union des marchés de capitaux et d’approfondissement du marché unique ou encore le récent rapport des cinq présidents des institutions (Banque centrale, Parlement, Commission, Conseil et Eurogroupe) sont des initiatives bienvenues qu’il faudra concrétiser.
La situation de l’économie luxembourgeoise
Si l’économie luxembourgeoise semble à première vue se porter comme un charme, des nuages apparaissent déjà à l’horizon. Tout va bien au regard des comptes nationaux révisés publiés en juillet dernier. Selon ces comptes l’économie luxembourgeoise aurait connu, au dernier trimestre de 2014 et par rapport au trimestre correspondant de l’année précédente, une croissance de quelque 8,5%. La croissance du PIB en volume pour l’ensemble de l’année 2014 est dopée par ce chiffre : elle se monterait pour sa part à quelque 5,6%, à comparer à un peu plus de 3% prévus par la totalité des institutions avant l’été.
Ces chiffres doivent être interprétés avec prudence. D’une part, ils résultent d’anticipations au dernier trimestre de 2014 de dépenses de consommation et d’investissement, par des ménages soucieux de contourner la hausse de la TVA survenue le 1er janvier 2015. Le taux de croissance « year on year » du PIB serait d’ailleurs revenu à 4,9% (ce qui demeure certes appréciable) au 1er trimestre de 2015, sous l’effet notamment du « contrecoup » TVA.
Par ailleurs, ce taux de 4,9% repose sur une forte croissance estimée de la valeur ajoutée du secteur financier (+9% « year on year » au 1er trimestre 2015). Or cet élan, qui est dans une large mesure imputable aux fonds d’investissement, est peu susceptible de se maintenir durant le reste de l’année 2015 comme le laisse augurer la forte diminution des cours boursiers observée depuis la fin mars 2015 (-17% à la date du 22 septembre pour l’indice Euro Stoxx 50).
J’avancerais trois autres bémols en ce qui concerne le Luxembourg :
- Un mot clef s’impose en ce qui concerne les perspectives économiques mondiales : l’incertitude – quant à la politique monétaire américaine et ses effets de ricochet, quant aux économies dites émergentes (Brésil, Russie et Chine en particulier), aux soubresauts géopolitiques, etc. En tant qu’économie extrêmement ouverte, le Luxembourg ne peut qu’être affecté par une telle incertitude, encore exacerbée par les difficultés inhérentes à toute projection économique au Luxembourg (voir à ce propos le blog http://www.fondation-idea.lu/2015/08/13/economic-forecasts-luxembourg-and-the-modern-oracles/). Je note aussi l’influence délétère de cette incertitude ambiante sur la confiance des ménages, des entreprises et des investisseurs, sans compter son incidence sur la volatilité des marchés boursiers.
- La reprise de la croissance s’est accompagnée d’un rythme de progression de l’emploi désormais légèrement supérieur à 2,5% (taux annuel). Or un tel taux, dont rêveraient les autres pays européens, permet tout au plus une stabilisation de notre taux de chômage. C’est le « paradoxe luxembourgeois » dans toute sa splendeur, qui montre par l’absurde que nous devons laisser tomber les tabous en matière de marché du travail – en faveur surtout des moins qualifiés, bien trop exposés au sous-emploi.
- Le Gouvernement s’est avec raison félicité de la bonne tenue des finances publiques en 2014. N’oublions cependant pas que le léger excédent de nos Administrations publiques repose sur un surplus plus important encore de la sécurité sociale. Or ce dernier est en grande partie virtuel : il est alimenté par des frontaliers qui, pour l’instant, contribuent davantage au paiement des cotisations de pension qu’ils n’alimentent les prestations correspondantes. Une situation qui est appelée à « se corriger » graduellement. La circonspection s’impose d’autant plus que les recettes de TVA et d’accises ont nettement fléchi au cours des six premiers mois de 2015 par rapport à la période correspondante de 2014, ce qui laisse d’ailleurs augurer une perte de recettes de l’ordre de 100 millions d’euros par rapport au budget de 2015. Il faut notamment y voir l’incidence de la hausse de la TVA au 1er janvier 2015 (achats anticipés en 2014 et contrecoup en 2015, plus l’incidence négative de la hausse des taux sur la base imposable déjà évoquée par la Chambre de Commerce dans son avis de l’an dernier sur le projet de budget 2015), de même que les conséquences de la diminution des ventes de carburants.
En résumé, le Luxembourg peut se féliciter de l’amélioration économique, mais cette dernière doit avant tout être vue comme une fenêtre d’opportunité, qu’il importe d’exploiter afin de mieux ancrer dans la durée les atouts du Luxembourg.
La crise des demandeurs d’asile
L’Europe a ces dernières semaines connu un afflux de réfugiés, ou plutôt de demandeurs d’asile, qui a suscité un débat nourri. L’accueil des réfugiés constitue une obligation humanitaire et morale, découlant de la Convention de Genève de 1951. On ne peut par ailleurs qu’adhérer à la volonté de la Commission Juncker d’aboutir à un mécanisme assurant une répartition équilibrée entre pays européens.
Mais au-delà de ces aspects, il est particulièrement difficile à ce stade d’appréhender l’incidence de ce phénomène.
L’immigration n’est certes pas inconnue au Luxembourg, pays où cette dernière s’est d’ailleurs intensifiée au cours des années récentes. Il en a résulté un fort différentiel de croissance de la population entre le Luxembourg, d’une part, et la moyenne de l’UE, d’autre part, mais ce dernier s’est accompagné d’un différentiel de même ampleur de la croissance du PIB réel (différentiel de l’ordre de 1,5% par an et par rapport à la zone euro depuis 2000, tant pour le PIB en volume que pour la population). Même s’il convient de faire preuve de prudence dans l’interprétation des causalités (la croissance induit l’immigration, ou l’immigration alimente la croissance ?), il paraît vraisemblable que la forte immigration nette ait en partie alimenté notre croissance économique. Songeons tout d’abord au simple impact de la consommation des immigrés (alimentation, biens durables, etc.) sur la demande agrégée. Songeons en outre à l’apport de nos immigrés au marché du travail, qui a pu bénéficier d’une diversification et d’une meilleure complémentarité des compétences. Enfin, la forte immigration passée a constitué une « cure de jouvence » démographique pour notre pays, ce qui a facilité le financement de nos comptes sociaux – les pensions en particulier.
Il s’agit là d’importants avantages économiques potentiels, même si des coûts difficilement valorisables existent. En particulier les coûts de congestion des infrastructures ou encore le coût du logement: il importe d’en tenir compte en termes d’investissements publics et de politique du logement.
Si notre expérience passée en termes d’immigration peut alimenter une « présomption favorable », elle ne constitue pas nécessairement un bon indicateur de l’incidence économique de l’actuel flux de demandeurs d’asile. Nous ne connaissons en effet ni le nombre d’arrivées futures au Luxembourg, ni leur profil de qualification, ni leurs connaissances linguistiques précises. Je préfère donc à ce stade éviter toute évaluation. Une chose est sûre cependant : il est de notre devoir de veiller à la sécurité et à la dignité de ces individus qui fuient actuellement la guerre et son cortège d’horreurs.