Les années se suivent et se ressemblent. En date du 14 octobre 2015, le Ministre des Finances a procédé à la traditionnelle cérémonie du dépôt du budget annuel, accompagné, pour la deuxième fois seulement, d’un projet budgétaire pluriannuel.
Un budget de la continuité, de la fiabilité et de la solidarité. Un budget de la « transparence » aussi, mot cité sept fois. Un budget bâti sur cinq priorités : le soutien à la croissance, l’investissement dans l’intérêt des citoyens, le renforcement de l’Etat-providence, la prise au sérieux du changement climatique et la solidarité au-delà des frontières. On peut s’étonner comment, tous les ans, le gouvernement parvient à placer le budget sous tel ou tel signe, sous telle ou telle priorité alors que, architecture budgétaire actuelle oblige, le budget est avant tout une mise à jour, une reconduction, une actualisation de milliers d’articles budgétaires isolés au lieu d’être un moyen d’atteindre des objectifs de politique publique et d’en rendre compte moyennant des explications et des indicateurs de performance. Le regard demeure plutôt rivé vers le passé, et non vers l’avenir. Malgré des avancées réalisées depuis quelques années au niveau de l’architecture budgétaire, le vrai « bond en avant » se fait encore quelque peu attendre. Je rappelle que la marge de manœuvre des Ministres des Finances successifs reste limitée, alors que plus de 80% des crédits proposés sont fixés en vertu d’une loi.
Le budget 2016 et son cousin pluriannuel ont des mérites. La volonté de soutenir la croissance et l’investissement en sont des illustrations pertinentes. Des accents sont mis sur la diversification économique. Le « Standort Lëtzebuerg », en pleine effervescence, est promu et soutenu grâce au nation branding, au tourisme, aux FinTech, à la logistique multimodale ou encore à travers le soutien à la R&D et à la protection de l’environnement. Il est par ailleurs reconnu que la résolution du défi du logement passe notamment par le soutien à l’offre, et l’offre locative sociale en particulier. L’investissement atteint de nouveaux sommets, ce qui est d’autant plus saluable qu’il s’agit des seules vraies dépenses d’avenir d’un budget. Encore faudra-t-il que les acteurs économiques luxembourgeois sachent absorber ces dépenses et que celles-ci soient en effet des dépenses à fort potentiel de développement économique et/ou sociétal.
Le budget annuel et pluriannuel s’inscrit par ailleurs dans un scénario marqué par l’incertitude. Les auteurs du projet budgétaire estiment notamment que les « aléas négatifs dominent ». Aléas côté international : Tensions géopolitiques au Moyen-Orient, crise des réfugiés, perspectives économiques et monétaires fragiles de la Chine, relèvement prochain des taux directeurs aux Etats-Unis et incertitudes quant aux effets de la croissance américaine sur sa balance courante alors que la santé de l’économie américaine devrait favoriser les importations mais eu égard à la ré-industrialisation des Etats-Unis et la perte de compétitivité de l’Europe, la consommation pourrait largement bénéficier aux seules entreprises américaines, et j’en passe. Côté Europe, il est impossible de savoir si nous pourrons encore longtemps compter sur le contexte exogène d’un euro bas et de matières premières des plus abondantes et peu onéreuses. La Commission a récemment analysé que l’essentiel de la croissance européenne en 2015 tirait justement son origine dans des événements heureux et non pas dans la pertinence et l’ambition des politiques publiques européennes. Le plan Juncker et – la possible – conclusion de l’accord TTIP constituent, quant à eux, des vents favorables potentiels pour la croissance sur le Vieux Continent. S’y ajoutent toutefois les changements au niveau de la fiscalité internationale. Si le Luxembourg ne peut guère échapper à ces éléments, il pourrait présenter différents scénarios d’évolution de l’économie et des finances publiques en fonction d’un certain jeu d’hypothèses.
Or, ceci n’est pas le cas, les perspectives budgétaires (pluri)annuelles sont construites sur un seul scénario central. Qui plus est, le lecteur qui souhaite comprendre les évolutions sous-jacentes demeure quelque peu sur sa faim. Les perspectives macroéconomiques, qui constituent le fondement de toute politique budgétaire et de toute prévision financière, semblent construites sur du sable mouvant : sont amalgamés des chiffres de sources differentes, mis à jour à des moments différents. Il s’agit d’un défi collectif de faire mieux concorder l’établissement des prévisions macroéconomiques à moyen terme avec l’établissement de la feuille de route budgétaire. Sont en outre utilisés des taux de progression pour le moins très ambitieux pour des impôts comme la taxe d’abonnement et l’impôt sur le revenu des collectivités. Est (encore) utilisée une méthode de calcul différente pour aboutir au fameux « solde structurel », c’est-à-dire le solde nominal corrigé des effets du cycle économique[1] et des mesures temporaires et ponctuelles ; alors que le solde structurel est la pierre angulaire de notre « règle d’or » budgétaire (nationale) qui prévoit que les Administrations publiques doivent présenter un excédent structurel de 0,5% l’an. Est toujours pris en compte jusqu’en 2019 l’effet (positif sur les recettes) de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire alors que le gouvernement s’est engagé, dans le cadre de la bipartite de fin 2014 avec les syndicats, de l’abolir dès 2017. Il n’est pas clair non plus si la gratuité de la garde d’enfants ou l’indexation des prestations familiales aux salaires médians sont prises en compte dans les chiffres. In fine, plusieurs déclarations publiques de membres du gouvernement laissent croire que, contrairement aux annonces de départ, la « réforme fiscale » ne sera pas budgétairement neutre, avec à la clef une possible dégradation additionnelle du solde public. Evidemment, tous ces éléments interagissent et ainsi, en prenant en compte ces quelques points, les prévisions budgétaires à moyen terme ressemblent plus à des objectifs à atteindre qu’à des prévisions robustes.
Le Zukunftspak, présenté fin 2014, proposait au départ un effet de consolidation cumulé de quelque 1,1 mia EUR à l’horizon 2018. Il est rappelé que le programme gouvernemental prévoyait encore un besoin de consolidation de 1,5 mia EUR d’ici la fin de la législature. Or, la réduction de l’ambition de consolidation se poursuit : l’effet total du Zukunftspak s’élève désormais qu’à quelque 0,8 mia EUR au total (à l’horizon 2019). Si l’envergure de consolidation prévue au départ dans le programme gouvernemental avait été mise en œuvre, le Luxembourg aurait enfin pu apurer le déficit chronique et structurel de l’Administration centrale et contenir l’évolution de la dette publique.
La réforme fiscale, quant à elle, a été présentée comme un « ensemble de mesures ciblées ». S’il faut saluer la prise de conscience qu’au niveau de la fiscalité des entreprises le taux d’affichage doit baisser pour tenir compte de l’élargissement des bases imposables, on peut regretter qu’aucun cap précis ne soit fixé, alors qu’une feuille de route ambitieuse à cet égard permettrait de tracer la voie et donner confiance aux investisseurs et aux entreprises.
Aux dires du gouvernement, les changements de la fiscalité internationale (encadrement des rescrits fiscaux, BEPS, etc.) vont certes entrainer des disparitions d’entreprises, notamment celles qui auraient peu de « substance » au Luxembourg, mais, concomitamment, celles qui vont s’établir justement grâce au nouveau contexte, seront nécessairement plus nombreuses. C’est un espoir, ni plus, ni moins, alors que nul ne saura prédire les effets économiques et budgétaires et encore moins l’horizon temporel dans lequel ils vont se matérialiser ; le tout dans un contexte d’extrême concentration des recettes à l’IRC (50 entreprises représentent environ la moitié du rendement total).
Il est permis et même nécessaire d’être optimiste pour l’avenir. Le Luxembourg se remet en question et souhaite façonner son avenir. Notre salut de demain ne tombera pas du ciel. Pour y arriver, nous devons ensemble – Etat, entreprises, citoyens – sortir de notre zone de confort et contribuer à faire en sorte que le Luxembourg pourra « rester ce qu’il est ». Or, pour y arriver, la consolidation des finances publiques et la réforme de l’architecture afférente, les réformes microéconomiques (marché du travail, formation des salaires, simplification administratives, etc.), la réforme fiscale et celles de l’éducation et de la formation professionnelle, la compétitivité et la soutenabilité du modèle sociale doivent être abordés ensemble, rapidement et avec ambition.
Pendant ce temps, le moteur du dialogue social tripartite demeure résolument en panne. L’attitude rigide de certains intervenants par rapport à une organisation plus moderne et adaptée du travail ainsi que des demandes allant jusqu’à exiger une augmentation de 20% de nombre de jours de congés payés, de préférence à opérer simultanément à une hausse de 10% du salaire minimum, ne permettant pas à ce moteur de redémarrer. Ce blocage, qui met en cause la vertu du dialogue social, est nuisible à l’attractivité du Luxembourg et constitue par ailleurs un coût d’opportunité pour les entreprises, car qui dit attractivité, dit investissements, dit création d’emplois, dit bases d’imposition, dit capacité redistributive.
La politique budgétaire, en juxtaposant recettes et dépenses, doit encadrer notre démarche réformatrice. Elle nous donne les moyens de mettre en œuvre nos ambitions. Toute baisse de régime, tout report et toute remise en question ne fait que remettre aux calendres grecques le façonnement du Luxembourg de demain. Soyons plus ambitieux, notre avenir en dépend.
Dans son traditionnel avis budgétaire, qui sera présenté au public en date du 18 novembre dans le cadre d’une conférence de presse après sa validation par l’Assemblée Plénière de la Chambre de Commerce, la Chambre de Commerce reviendra en détail aux questions brièvement esquissées ci-avant.
[1] Plus la conjoncture est bonne, plus il faut « ajuster » vers le bas le solde structurel car il est de toute évidence plus facile de présenter un budget équilibré si la croissance s’élève à +4% que si elle était nulle ; et vice-versa.
les annees se suivent et se ressemblent en effet car chaque année à la meme époque on a droit à un blog de votre part ou vous vous trompez de nouveau sans aucune remise en question par rapport à vos erreurs de l annee d avant. Pour s en convaincre, voici une phrase tiree de votre blog de novembre 2013 “Après une analyse factuelle de la situation socio-économique et budgétaire actuelle et des perspectives afférentes à moyen terme, je remarque que cette note pèche de surcroît par un optimisme non fondé” on remarquera l’arrogance du “non fondé”! que disait pourtant cette note du Comité de Prévision que vous trouviez alors trop optimisme? que la croissance serait de 2,7% en 2014, 1,8% en 2015; en realite la croissance a été de 4% en 2014, sera de 3,7% en 2015. ma question est comment peut on (comme c est votre cas) se tromper sur les prévisions avec une constance à faire envier les trains en retard, ne jamais faire un blog “mes excuses au STATEC” et continuer avec la meme certidude à dire que les prévisions budgétaires semblent construites du sable mouvant? vous écrivez également “à moyen terme les prévisions ressemblent plus à des objectifs à atteindre qu’à des prévisions robustes” que peut bien vouloir dire économiquement cette phrase? on est en 2015, un budget pluriannuel jusqu en 2019 ne peut, par construction et bon sens, n’être que des objectifs à atteindre. comment voulez vous serieusement prévoir 2019, sachant qu il y aura une reforme fiscale (dont la teneur par principe n est pas connue ni ne peut etre dévoilée), qu il y a des changements législatifs sur la base taxable en Europe possibles, etc etc. dans ce cadre prévoir (ou faire croire qu on prévoit robustemet) serait mentir, on ne peut donc que annoncer les objectifs (la ou on veut se rendre, des cibles de dette, d’OMT etc) et au fur et à mesure prendre en compte les decisions et arbitrages pour atteindre justement les objectifs visés, c’est le principe même d ‘un budget pluriannuel que d’etre une feuille de route.
et quand vous dites ” il pourrait présenter différents scénarios d’évolution de l’économie et des finances publiques en fonction d’un certain jeu d’hypothèses.” d’abord cela existe dans les études se sensibilité contenues dans le PSC, ensuite, quel sens aurait le budget du pays si il devrait dire voici le budget central, et voici le budget si la chine va moins, voici le budget si les USA remontent les taux en decembre, voici le budget si les USA rmeontent les taux en mars, voici le budget si la France va moins bien, si l Allemagne ferme ses frontieres, et tant qu on y est voici le budget si la meteo est pas ssez bonne pour le secteur de la construction? voici le budget si la fin du monde a lieu? ou si les sanctions ocntre la russe sont levees? ou si Trump est élue ou si c est clinton? votre proposition de budget circonstenciee est un must de mauvaise idee
pour finir vous écrivez “L’investissement atteint de nouveaux sommets, ce qui est d’autant plus saluable qu’il s’agit des seules vraies dépenses d’avenir d’un budget” je suis ravie d apprendre que les dépenses d investissement sont les seules vraies dépenses d avenir (meme quand il s agit de construire un Tram inutile, ou des piscines) et d autant plus ravie de svaoir que mon salaire de prof n est pas une dépense d avenir, que les transferts sociaux qui permettent de lutter contre la pauvreté et assurer la cohesion sociale ne sont pas des dépenses d avenir, que les dépenses de santé qui permettent aux gens d etre en bonne santé ne sont pas des dépenses d avenir, que les subventions aux entreprises ne sont pas des dépenses d avenir, que les dépenses pour la formation ne sont pas des dépenses d avenir….
Je vous remercie vivement de votre réponse exhaustive ! Un débat contradictoire d’idées rend la discussion plus riche et la fait avancer. Je vous félicite aussi de votre franchise. Tout d’abord : vous avez raison ! Le croissance, et en particulier au Luxembourg, n’est apparemment pas une science exacte… A l’image par exemple du taux de croissance 2014 qui a progressivement été estimé à environ 3%, puis à 5,6% (juillet 2015) et puis à 4,1% (octobre 2015). Et là, nous évoquons une année révolue ! Alors que l’activité économique est le fondement sur lequel se greffe la politique budgétaire (une forte activité économique rime avec des recettes fiscales plus abondantes et a priori des dépenses plus faibles pour le chômage, p.e.x), c’est justement cette activité qui peine à être mesurée avec précision. Ceci est notamment dû à la grande ouverture de notre économie et à sa forte orientation « services ». C’est un débat qui dépasserait le cadre du blog mais qui mérite sans doute un blog y dédié ! Or, même si la mesure de l’activité économique et notamment l’activité prévisionnelle est un sujet difficile à cerner, cela ne peut pas à mon avis servir de prétexte à ne pas simuler les grands agrégats budgétaires (et non pas les plus de 4.000 articles budgétaires individuels) selon différents jeu d’hypothèses. L’on appelle cela des analyses de sensibilité : un scénario de base sur lequel se greffe le projet de budget présenté par le gouvernement, assorti d’un scénario haut (p.ex. effet d’une augmentation de 0,5% de la croissance en zone euro par rapport au scénario central) et d’un scénario bas. Leur prise en compte nous permet d’appréhender comment nos agrégats budgétaires (recettes, dépenses, solde nominal, solde structurel, dette) et les grands équilibres macroéconomiques (emploi, chômage, inflation…) réagissent par rapport à un changement de la donne macroéconomique. Cette prise de conscience est essentielle à l’aune de la nécessité de mener une politique budgétaire certes ambitieuse, mais aussi prudente. L’Europe nous invite d’ailleurs à réaliser de tels scénarios, car, « un homme averti en vaut deux » et d’ailleurs « mieux vaut prévenir que guérir ».
Quand je parlais de dépenses d’avenir, j’ai parlé des dépenses qui ne sont pas consommées au sens comptable du terme en une année donnée. Les quelque 90% de dépenses courantes qui composent le budget de l’Etat sont consommées pendant l’année budgétaire même si, et vous avez tout à fait raison, certaines contribuent à préparer l’avenir, et notamment les éléments intangibles de notre attractivité, de notre cohésion sociale, de notre bien-être et de notre capacité d’innovation, comme l’éducation ou la recherche. Les dépenses sociales peuvent également contribuer à préparer l’avenir si elles sont bien ciblées et si elles donnent un coup de pouce en vue d’une activation accrue des leurs bénéficiaires. « Point taken », mon blog n’a pas été précis sur ce point. Dans le blog, j’ai simplement tenté de tirer l’attention sur les fortes retombées potentielles des investissements publics, en termes de croissance à moyen ou à long terme.
le Luxembourg doit faire mieux que ses concurrents s il veut rester en pointe
dette faible
fiscalite faible
flexibilite du travail
depense publique faible