« Le terrorisme est de retour »… Il ne s’agit certes pas d’un phénomène réellement nouveau: il suffit de penser aux Brigades rouges ou encore à la Fraction Armée Rouge, pour ne mentionner que deux exemples passés. Le mot « terrorisme » a d’ailleurs été utilisé dès le 18e siècle, pour dépeindre la « Terreur » semée par Robespierre et son Comité de salut public durant la Révolution française.
Nous assistons cependant à un rebond du phénomène terroriste, de surcroît sous une forme radicale. Divers facteurs (économiques, sociaux, géopolitiques, etc.) peuvent être à l’origine de cette résurgence, mais toute forme de terrorisme est rigoureusement inexcusable.
On ne saurait trop insister sur l’indicible horreur liée à ces attaques terroristes, sur la destruction de précieuses vies humaines et sur les tragédies associées. Dans ce post, je souhaite aborder l’impact socio-économique du terrorisme, donc porter un regard plus « matérialiste » sur le terrorisme.
La vision du coût socio-économique du terrorisme la plus répandue dans la littérature spécialisée est que son impact immédiat est à ce stade resté assez limité dans nos économies développées[1]. Cette thèse est globalement confirmée par l’incidence, souvent transitoire, des chocs terroristes passés notamment sur les cours boursiers.
Cette optique traditionnelle doit cependant être complétée et constamment revue face à un terrorisme de nature systématique et non ponctuelle. Par ailleurs, il faut tenir compte des « coûts de second tour » des attentats, c’est-à-dire des coûts ne découlant pas directement de l’acte terroriste lui-même, mais plutôt de réactions disproportionnées (protectionnistes et/ou populistes) par rapport à ces attentats. Un autre enseignement important est que notre connaissance des conséquences économiques du terrorisme est encore éminemment perfectible.
[1] Selon Becker, G. et Murphy, K. (2001), Prosperity will rise out of the ashes, Wall Street Journal, 29 Octobre 2001, même un acte terroriste aussi majeur que les attaques terroristes du 11 septembre 2001 à New York n’auraient réduit le stock de capital (actifs productifs) de l’économie américaine qu’à raison de 0,06%.
Terrorisme : un impact important dans certains cas spécifiques
A première vue, les conséquences économiques potentielles du terrorisme peuvent être élevées. En témoignent diverses études portant sur des régions ou des pays soumis à un terrorisme endémique.
L’expérience du Pays Basque est édifiante à cet égard. Les activités terroristes de l’ETA n’ont véritablement démarré que vers la fin des années ’60, pour prendre un tour systématique pendant au moins une trentaine d’années. Si on en croît une étude détaillée[1], cette vague terroriste persistante aurait induit au Pays basque une diminution permanente du PIB par tête s’établissant à quelque 10%, par rapport à une situation « contrefactuelle » sans terrorisme. Cette diminution ne s’est cependant manifestée qu’avec un certain décalage dans le temps, probablement parce que les agents économiques ont pu interpréter les premiers attentats comme étant des chocs temporaires.
Autre exemple : Israël, où le nombre de morts résultant d’attaques a été, de 2001 à 2003, du même ordre de grandeur que les accidents de la route. Une analyse similaire[2] à celle qui a été effectuée dans le cas du Pays Basque a mis en évidence qu’en l’absence d’attentats, se traduisant notamment par de très importantes dépenses en matière de défense, le PIB israélien par habitant serait de 4% plus élevé que son niveau effectif.
Enfin, des attentats récurrents accroissent la compartimentation des économies concernées. Diverses études montrent que de telles attaques tendent à affecter fortement les échanges commerciaux internationaux ou les investissements directs étrangers. Certains économistes ont montré (dans le cas d’Israël) que l’incidence d’une violence récurrente sur les exportations est trois fois plus élevée que son impact sur la consommation. D’autres[3] ont calculé que les attaques terroristes transnationales auraient réduit le commerce entre les pays concernés de quelque 5 à 6% au cours de la période 1968-1999. Ce serait l’équivalent d’une taxe de 0,65 à 1,5% sur les transactions en cause.
Se penchant sur les investissements directs étrangers, certains économistes ont affirmé que le terrorisme aurait, au cours des années ’70 et ’80, réduit les investissements directs en Espagne et en Grèce à raison de 13,5% et de 12%, respectivement – même si cette étude a montré dans la même foulée que le terrorisme n’aurait exercé qu’une incidence limitée sur les investissements directs en France, en Allemagne et en Italie[4].
S’ajoutent les craintes spécifiques concernant les répercussions du terrorisme dans des secteurs tels que le tourisme, les hôtels, les restaurants et les loisirs.
On ne saurait mieux souligner à quel point des attaques persistantes peuvent potentiellement peser sur l’activité économique. Ces résultats dépendent cependant de la nature de la menace terroriste ayant sévi par le passé, de sorte qu’ils ne peuvent être utilisés tels quels dans le présent contexte. En outre, les régions ou pays mentionnés ci-dessus présentent des situations bien spécifiques, puisqu’ils ont été exposés à des attaques souvent massives et très fréquentes.
Attaques ponctuelles dans des pays développés : impact sur l’activité globale assez mesuré
Si l’impact du terrorisme peut être important dans certains cas particuliers ou dans des économies en développement souvent moins « résilientes » face à ce fléau, il semble que l’incidence matérielle – au-delà donc des vies perdues et des drames humains associés – du terrorisme soit au final assez réduite au sein d’une économie moderne et diversifiée, qui est en mesure d’amortir efficacement les chocs économiques et sociaux corrélatifs aux attentats.
De nombreuses contributions académiques corroborent ce constat d’un impact économique direct finalement assez limité d’actes terroristes ponctuels. Ainsi, selon une étude de 2004 portant sur les pays développés[5], un acte terroriste sévissant une année donnée diminue la croissance au cours de cette même année à raison de 0,029 point de pourcentage. Un aspect plus intéressant que ce chiffre plutôt dérisoire, mentionné dans la même étude: l’incidence négative du terrorisme sur l’activité à court terme découlerait principalement d’une réallocation de la demande interne en faveur de la consommation publique (forces de sécurité notamment) et ce, au détriment des investissements. Or ces derniers sont normalement plus productifs d’un point de vue économique, d’où la croissance moindre.
Ce constat d’un faible impact économique d’attentats ponctuels dans les pays développés est confirmé par une récente étude de la Banque de France. Si on en croit cette dernière, l’impact direct des attentats de Paris de novembre 2015 sur la croissance économique française au quatrième trimestre n’aurait pas excédé 0,1 point de PIB (soit environ 0,025% sur le taux de croissance de l’année 2015 dans son ensemble). Une autre estimation : le « lockdown » de Bruxelles, qui a duré quelques jours fin novembre suite à une menace terroriste « sérieuse et imminente », aurait coûté à la Belgique 350 millions d’euros (0,1% du PIB) selon la Fédération des entreprises de Belgique, notamment en raison de son incidence sur l’horeca et le commerce. Il est évident que les entreprises concernées souffrent des pertes de chiffres d’affaires qui en découlent.
Ce diagnostic d’ensemble d’un PIB finalement peu sensible au terrorisme semble contredire divers constats de sens opposé, se rapportant quant à eux aux différentes composantes de la demande (consommation, investissements et commerce extérieur). Cette contradiction n’est cependant qu’apparente. Même pour des pays développés subissant des attaques ponctuelles, nombre d’économistes admettent certes que l’investissement des entreprises tend à marquer le pas dans le sillage immédiat d’une action terroriste. Cette incidence ne serait cependant guère préoccupante, car confrontés à l’incertitude et au manque de visibilité occasionné par les attentats, beaucoup d’entrepreneurs auraient simplement tendance à retarder – et non à annuler – leurs programmes d’investissement (de même d’ailleurs que leurs embauches). Dès que l’incertitude ambiante résultant des attentats s’estompe, les investissements (et les embauches) reviendraient à leur niveau initial, l’impact sur les investissements demeurant dès lors temporaire. Un économiste[6] a estimé, sur la base de l’expérience des Etats-Unis de 1962 à 2008, que ce rebond s’effectue déjà après six mois. Le terrorisme serait donc corrosif pour les investissements des entreprises, mais de manière assez temporaire.
De même, la consommation des ménages ne semble pas être durablement affectée par les attentats. L’impact négatif d’éventuels attentats sur la fréquentation des hôtels et restaurants, sur les sorties, le tourisme ou le transport saute aux yeux. Cet effet initial est cependant suivi par un effet de rebond du PIB lié aux équipements de sécurité accrus, ou encore à des biens de substitution – par exemple des équipements audiovisuels domestiques visant à compenser la désaffection des ménages pour les spectacles extérieurs (cinémas, théâtres, etc.). Ce rebond de la consommation des ménages est plus qu’une simple hypothèse : dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001 à New York, l’activité économique dans l’ensemble des Etats-Unis n’a décroché qu’au cours d’un trimestre, à la faveur notamment d’une forte reprise des achats de biens durables des consommateurs quelques semaines après les attentats.
Enfin, nombre d’économistes soulignent le fort impact potentiel d’attentats sur le commerce international et sur les investissements directs étrangers. En d’autres termes, même à législation inchangée, le terrorisme contribuerait à cloisonner les différentes économies nationales. Pour les économies développées, cette vision a cependant été infirmée par d’autres experts[7], qui ont montré que (i) les estimations précitées surestiment l’incidence du terrorisme sur les investissements directs ou sur le commerce, en raison d’une fréquence inappropriée des données (données annuelles et non mensuelles ou trimestrielles, ce qui n’est pas suffisamment précis pour bien cerner l’impact économique d’attaques) et (ii) qu’une économie de marché évoluée n’est pas purement statique : elle atténue les impacts négatifs immédiats du terrorisme à la faveur de réallocations entre secteurs des ressources productives et d’ajustements des prix.
L’impact d’actes terroristes ponctuels peut de surcroît être amorti en jouant sur divers instruments – même si ces leviers sont parfois à double trenchant.
De possibles amortisseurs des chocs terroristes, via les dépenses privées et publiques, la diversification économique, la politique monétaire
J’ai jusqu’à présent tenté, sur la base d’informations toujours un peu parcellaires, de fournir une liste des répercussions économiques négatives du terrorisme. Ces impacts négatifs paraissent en définitive assez réduits, du moins pour des économies développées et sauf vagues incessantes d’actes terroristes. Ces impacts peuvent en outre être amortis – ou même complètement neutralisés dans certains cas – grâce à divers leviers. Si ces derniers ne sont certes pas toujours intrinsèquement positifs, ils contribuent néanmoins à atténuer l’incidence du terrorisme sur le PIB tel qu’il est mesuré en comptabilité nationale.
Citons en premier lieu la consommation privée et les investissements des entreprises. Si le terrorisme semble exercer un impact sur les dépenses privées, ce dernier paraît le plus souvent assez transitoire comme je l’ai déjà indiqué, à la faveur notamment d’équipements de sécurité renforcés ou d’achats accrus de biens durables, pouvant atténuer la chute initiale des investissements des entreprises.
Les impacts défavorables sur l’évolution à court terme de la demande domestique pourraient aussi, en théorie, être partiellement amortis par une hausse de la consommation publique et des investissements publics (dépenses dans le domaine de la sécurité ou de la défense, embauche de policiers, etc.). Par nécessité – songeons par exemple à la sécurisation des bâtiments publics, aux contrôles de sécurité, etc. – mais aussi dans un but de stabilisation économique. Une bonne partie de l’effet d’entraînement associé à ces mesures ne peut souvent s’opérer qu’à moyen terme (exemple du recrutement forcément graduel de policiers). En outre, si le recours à cette « arme » est trop intensif et fréquent il risque d’être contrebalancé, voire même écrasé à terme, par une facture fiscale salée. D’autant que des dépenses publiques de sécurité paraissent moins efficaces, en termes de croissance économique future, que des investissements publics plus classiques (infrastructures de transport, d’énergie, télécommunications, recherche, etc.).
Un amortisseur a priori plus durable est la diversification économique. Au sein d’une économie peu diversifiée, une attaque terroriste centrée sur un des rares piliers de l’économie va exercer des effets profonds et durables sur le bien-être. Il en sera tout autrement dans une économie fortement diversifiée. Les attaques terroristes pénaliseront certes les branches de cette économie les plus exposés aux dégâts matériels, à la hausse des primes d’assurance ou des coûts de transaction, avec à la clef des pertes de chiffres d’affaires et d’emploi dans ces branches. Si le marché du travail est correctement organisé, ces emplois, de même que d’autres facteurs de production comme l’immobilier ou les machines, seront cependant dans une certaine mesure canalisés vers les autres secteurs de l’économie. Ces derniers capteront une partie des capacités de production désormais excédentaires, ce qui amortira quelque peu l’impact du terrorisme sur l’économie dans son ensemble.
Enfin, la politique monétaire peut contribuer à atténuer l’impact du terrorisme, du moins de manière indirecte. Si le terrorisme affectait négativement et durablement l’économie, il en résulterait toutes autres choses égales par ailleurs de moindres pressions inflationnistes. Des banques centrales ayant un objectif d’inflation vont dès lors réduire leurs taux directeurs ou alimenter l’économie en liquidités dans le sillage d’attentats. La Réserve Fédérale américaine a en tout cas sensiblement abaissé les taux des FED Funds après les attentats du 11 septembre 2001.
Tous ces amortisseurs montrent qu’une économie développée peut, dans une certaine mesure, circonscrire les conséquences économiques négatives du terrorisme. Du moins si elles disposent des marges de manœuvre disponibles avant les attentats – avec des finances publiques suffisamment saines, notamment.
Des conséquences économiques réduites à politique inchangée, mais pas en cas de dérapages souverainistes et populistes
Je tiens à souligner le caractère un peu statique des estimations économiques usuelles, qui se focalisent surtout sur des attentats ponctuels. Or une vague d’attentats génère des effets de méfiance, d’incertitude allant au-delà de cet impact statique. Les expériences du Pays Basque et d’Israël, que j’ai déjà mentionnées, montrent qu’un terrorisme systémique, récurrent, peut au contraire durablement et significativement handicaper l’économie.
Par ailleurs, beaucoup d’attentats passés consistaient à attaquer des infrastructures, des véhicules (voir par exemple le bombardement du destroyer USS Cole en octobre 2000 au Yémen) ou des personnes ciblées. Les récents attentats de novembre 2015 à Paris correspondent à un modus operandi différent, puisque les terroristes s’en sont pris à « Madame ou Monsieur tout le monde », voire prioritairement à des jeunes représentant l’avenir de la société. Ce type d’attentats démultiplie les répercussions dans l’opinion politique, donc par ricochet dans la sphère politique. Etant soumises à une pression intense dans un climat d’extrême urgence, les autorités pourraient davantage que par le passé être enclines à multiplier certaines mesures spectaculaires, finalement assez peu efficaces (voire même contre-productives…) du point de vue de la lutte contre le terrorisme, tout en étant dommageables en termes d’activité économique.
Les contrôles aux frontières tout d’abord : le terrorisme crée un climat de méfiance et de nervosité, qui peut à son tour favoriser une résurgence des tentations souverainistes et populistes. En clair, le climat parfois malsain apparaissant dans le sillage des récents attentats (anti-EU, anti-Schengen, anti- …) laisse craindre qu’une certaine forme de déconstruction européenne s’amorce.
Le Luxembourg a déjà encaissé de plein fouet ce risque dans le sillage immédiat des attaques du 13 novembre à Paris, avec des contrôles à notre frontière avec la France. Ces mesures ont notamment contrarié la libre circulation des nombreux frontaliers français qu’accueille le Luxembourg et a confronté nombre de nos entreprises, surtout les plus petites d’entre elles, à d’énormes problèmes d’ordre pratique au quotidien. S’y ajoutent les retards et les coûts accrus affectant les transports de marchandises. Rappelons que selon Eurostat, la moitié du commerce international interne à l’Union européenne s’effectue par la voie routière…
Selon le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, s’exprimant lors de la remise des vœux le 15 janvier dernier, les seuls contrôles sur le pont de l’Öresund entre la Suède et le Danemark auraient déjà coûté 300 millions d’euros – pourtant seules 9.000 personnes transitent quotidiennement de Copenhague à Malmö, ce qui est bien inférieur à nos 170.000 frontaliers (dont environ 80.000 résidant en France). Par ailleurs, chaque heure d’attente d’un camion à une frontière intérieure coûterait 55 EUR. Il a enfin affirmé que la prolongation au-delà du raisonnable des contrôles aux frontières internes à l’espace Schengen constitue un danger majeur pour le Marché unique et même, au-delà, pour la survie de la zone euro. On ne peut en effet concevoir que cette zone monétaire unique soit dans le même temps écartelée par des frontières de plus en plus hermétiques.
Toujours selon la Commission européenne[8], l’euro et le Marché unique (pourtant toujours incomplet) auraient contribué à rehausser le PIB de l’UE de quelque 300 milliards EUR, avec à la clef 3 millions d’emplois additionnels. Enfin, 10% des emplois au sein de l’UE dépendraient directement ou indirectement de l’exportation (un quart de ces 10% se situant dans les branches non exportatrices). Ces acquis sont hypothéqués par l’actuelle surenchère souverainiste.
Le Luxembourg, carrefour européen au propre comme au figuré, est particulièrement exposé à ces coûts induits par un retour, même partiel, aux silos nationaux.
Enfin, le terrorisme est susceptible d’entraîner une défiance vis-à-vis de l’immigration, avec à la clef un ralentissement durable de la croissance de l’emploi et de la demande intérieure. Rappelons que selon les Nations Unies notamment, la population d’âge actif de l’Union européenne déclinerait de quelque 16%, soit de 0,4% l’an d’ici 2060, si l’UE restait sur la « pente d’immigration » observée jusqu’en 2014 (soit avant l’afflux de réfugiés). La politique d’immigration ne doit pas se bercer d’angélisme, mais on ne peut davantage ignorer les défis démographiques à long terme de l’Europe et du Luxembourg : tout est une question de mesure, à rebours de toute réaction irrationnelle.
Un champ d’analyse inépuisable face à un problème multiforme…
Le terrorisme est multiforme. L’un des premiers facteurs à prendre en compte est son degré de persistance. Alors qu’un acte terroriste isolé n’occasionnera vraisemblablement qu’un impact économique temporaire, il en est tout autrement quand le terrorisme s’enracine, comme le montre l’expérience du Pays Basque.
Les résultats observés par le passé ne peuvent cependant être utilisés tels quels pour rendre compte de l’actuelle vague terroriste, singulière à de nombreux égards, dont son caractère « globalisé ». Jusqu’au 11 septembre 2001, les attaques survenant dans les pays développés étaient principalement de nature domestique, ce qui limitait les « effets de réverbération » sur d’autres pays. Les attentats se jouent désormais des frontières : ils sont de nature transnationale, ce qui démultiplie leur impact au-delà même du pays principalement visé. A titre d’exemple, l’attentat de New York le 11 septembre 2001 aurait exercé un impact plus important sur les marchés boursiers européens ou sur Hong Kong que … sur le New York Stock Exchange.
Plus généralement, ces effets de diffusion, voire même de démultiplication du terrorisme, sont favorisés par l’organisation en réseaux (de télécommunications, énergétiques, informatiques, etc.) des économies modernes. Un « grain de sable » terroriste peut puissamment enrayer ces réseaux, donnant lieu à une amplification des coûts par rapport au passé. On peut citer dans ce contexte le cyber-terrorisme, qui est probablement amené à se développer et va obliger les Etats et les entreprises à consentir des dépenses croissantes de sécurité informatique.
En guise de conclusion…
… l’estimation du coût économique du terrorisme constitue un véritable défi. L’effet économique direct et immédiat d’attaques ponctuelles semble au final plutôt réduit. L’effet psychologique et la perception d’insécurité auprès de la population et auprès des agents économiques (consommateurs, producteurs, investisseurs, …) ne sont pas à sous-estimer, à travers notamment l’impact négatif en découlant sur leur confiance et sur leur propension à consommer, investir, recruter. L’effet total et à moyen terme peut s’avérer bien plus important en cas de réponse inadaptée et outrancière au terrorisme. D’autant que la mauvaise perception corrélative de l’Europe pourrait inciter nombre d’acteurs économiques à se relocaliser vers des « safe harbours ». Le Luxembourg, qui est un des principaux bénéficiaires des 4 libertés fondamentales (libre circulation des biens, services, travailleurs, capitaux) sous-jacentes à l’esprit européen et l’une des portes d’entrée naturelles des investisseurs vers l’UE, en souffrirait inévitablement.
La résurgence terroriste appelle de nouvelles mesures, mais elles doivent être proportionnées au problème : il convient de se demander pour chacune d’entre elles si elle constitue réellement un moyen efficace de lutte contre le terrorisme apte à toucher le fond du problème (donc s’attaquer au problème à la racine) et apte à garantir la sécurité des citoyens et si elle ne dissimule pas d’autres visées – par exemple des égoïsmes nationaux fort onéreux… et totalement contreproductifs en termes de lutte contre le terrorisme.
[1] Abadie, Alberto et Gardeazabal, Javier (2003), The Economic Costs of Conflict: A Case Study of the Basque Country, American Economic Review, vol. 93, n°1, pp. 113-132.
[2] Eckstein, Zvi et Tsiddon, Daniel (2004), Macroeconomic Consequences of Terror: Theory and the Case of Israel, Journal of Monetary Economics, 51(5), pp. 971-1002.
[3] Bloomberg, S.B. et Hess, G.D. (2006), How Much Does Violence Tax Trade? Review of Economics and Statistics 88(4), pp. 599-612. Sur base de données internationales portant sur la période 1968-1999.
[4] Enders, Walter et Sandler, Todd (1996), Terrorism and Foreign Direct Investment in Spain and Greece, Kyklos, 49(3), pp. 331-352.
[5] Voir en particulier Blomberg, S. Brock et al. (2003), The Macroeconomic Consequences of Terrorism, Journal of Monetary Economics, vol. 51, n°5, pp. 1007-1032.
[6] Bloom, Nicholas (2009), The Impact of Uncertainty Shocks, Econometrica, Vol. 77, n° 3, pp. 623–685.
[7] Voir en particulier : Egger, Peter et Gassebner, Martin (2015), International terrorism as a trade impediment, Oxford Economic Papers, vol. 67, issue 1, pp. 42-62.
[8] Voir en particulier : http://ec.europa.eu/internal_market/publications/docs/20years/achievements-web_en.pdf.