Si la teneur de la réforme fiscale demeure un secret jalousement gardé dont les contours ne seront dévoilés qu’à l’occasion du discours sur l’état de la nation (voire quelques jours auparavant dans le cadre d’une tripartite), certains axes semblent toutefois acquis : une hausse du crédit d’impôt pour salariés, l’abolition de la fameuse « contribution pour l’avenir des enfants » (jamais introduite car devenue entretemps « impôt d’équilibrage budgétaire temporaire »), l’aplanissement de la prétendue « bosse des classes moyennes », des mesures pour les familles monoparentales. La neutralité budgétaire de la réforme, un des principes maîtres au départ de la réforme, semble par ailleurs appartenir au passé. La conjoncture et le Zukunftspak (qui a été à la base présenté pour concourir à l’assainissement budgétaire) sembleraient avoir donné lieu à une « marge de manœuvre », de sorte que des allégements fiscaux seraient désormais envisageables.
Point commun de ces éléments : ils concernent tous la fiscalité des ménages. C’est normal, diraient d’aucuns, étant donné que la charge fiscale est mal répartie entre les ménages et les entreprises. Loin d’un prétendu « idéal paritaire », les entreprises ne feraient actuellement pas une contribution suffisamment importante. Que les marges des entreprises aient baissé contrairement aux salaires, que l’emploi ait gonflé et non la productivité, que les non-résidents paient une quote-part croissante des prétendus « impôts des ménages », que plusieurs milliers d’entrepreneurs individuels et de sociétés de personnes soient soumis à l’impôt sur le revenu des personnes physiques… Tout cela doit pourtant être pris en compte. Le récent avis du CES sur l’ « Analyse des données fiscales au Luxembourg » s’est d’ailleurs fort heureusement départi de toute controverse stérile « ménages versus entreprises », les synergies économiques, fiscales et sociales entre ces deux acteurs étant plus qu’évidentes, alors qu’à la base du circuit économique, la création de richesses émane des entreprises.
Entreprises exposées à la concurrence, entreprises en quête d’un environnement prévisible, entreprises s’interrogeant si elles investiront au Luxembourg ou ailleurs. Aujourd’hui, des arbitrages se font déjà entre Europe (qui se déchire) et hors-Europe. Si le choix de l’investisseur porte sur l’Europe, nous arrivons alors à la concurrence entre les Etats membres. Et cette concurrence, le Luxembourg ne peut durablement la gagner qu’en annonçant la couleur côté fiscalité des entreprises, en misant à fond sur l’attractivité, la transparence et la simplification fiscale. Tout ne doit pas être mis en œuvre en 2017. Il suffit de proposer un premier pas concret, et d’annoncer une feuille de route pour la suite – et s’y tenir.
A l’horizon 2020, le Luxembourg pourrait sans efforts démesurés figurer parmi les pays les plus attractifs d’un point de vue fiscal. Car ne nous trompons pas : même dans le monde du BEPS, les choix de localisation et de pérennisation d’activités entrepreneuriales ne se prennent pas uniquement au vu du multilinguisme de la population, de la stabilité socio-économique, de la qualité du système d’éducation et de formation, de l’efficacité des infrastructures et du système de R&D et d’innovation…
La fiscalité sera toujours un critère déterminant, car un système fiscal efficient est susceptible d’inciter les agents économiques à investir et à créer des emplois, ce qui augmente leur rentabilité et les bases fiscales sous-jacentes. Un taux d’imposition des sociétés compétitif deviendra à l’avenir un produit d’appel déterminant. Je plaide pour la mise en œuvre progressive d’un taux global et unique de l’impôt des sociétés, couvrant les actuels IRC et ICC de même que le prélèvement « Fonds pour l’emploi », de 15% dès 2020. Pour ne pas entraver l’autonomie financière des communes, on peut s’imaginer un système de rétrocession de l’Etat central vers les communes selon les clés existantes, tout en simplifiant considérablement le système, notamment à travers ce taux d’imposition d’affiche unique et global.
Un tel taux d’affiche global de 15%, se situant à mi-chemin des taux appliqués chez les concurrents stratégiques du Luxembourg que sont l’Irlande et le Royaume-Uni, constituerait pour notre économie un indispensable produit d’appel à l’heure de l’étiolement du secret bancaire, des règles anti-BEPS, de la lutte contre les « aides d’Etat », etc.
Je tiens à souligner également l’importance des avantages disponibles pour les entreprises sous forme de divers abattements actuels et d’un régime performant de soutien aux investissements corporels et incorporels – comportant notamment la réintroduction d’un régime de propriété intellectuelle adapté, une réserve immunisée pour investissements en faveur des PME, de même qu’un élargissement du champ d’application du régime mère-fille, ou encore d’un régime qui ne décourage pas les « meilleures têtes » à s’implanter au Luxembourg mais qui les encourage au contraire à demeurer au Grand-Duché, etc.
Un traitement plus favorable des financements par capitaux propres par rapport au financement par endettement se révèle capital pour l’économie luxembourgeoise, ce qui devra passer par l’abolition de l’impôt sur la fortune, sans préjudice de toute autre forme d’incitant complémentaire. Il ne semble pas inutile de rappeler que cet impôt est inexistant dans les pays européens concurrents du Luxembourg et qu’il représente pour les entreprises une charge fiscale importante souvent ignorée des débats actuels. Tout cela peut se faire et tout cela est compatible avec BEPS. Et le tout peut être budgétairement neutre, à la faveur notamment de l’élargissement inéluctable de la base d’imposition résultant des dispositions BEPS et de l’évolution corrélative – et bienvenue – vers davantage de substance. Les retombées économiques favorables d’une fiscalité des entreprises plus attractive et prévisible sont évidentes et pourront compenser à terme tout déchet fiscal initial. Une marge de manœuvre de contre-financement subsiste encore au niveau de la fiscalité applicable aux revenus immobiliers, laquelle est fort réduite au Luxembourg en comparaison internationale.
Sur un plan plus technique, de nouveaux outils analytiques misant sur les progrès récents de l’informatique (« big data » notamment) devraient être mis en place au sein des différentes administrations fiscales, afin de mieux prévoir les retombées budgétaires de toute mesure fiscale et d’établir un lien direct entre les informations fiscales et celles relevant de la sécurité sociale.
Ne cédons pas aux calculs purement statiques, qui évaluent l’impact budgétaire d’une baisse de taux sur la base d’un volume d’activité « statu quo ». L’expérience étrangère démontre qu’il n’y aura pas de statu quo : on peut compter sur une attractivité renforcée, une rentabilité raffermie, et sur des embauches nouvelles, qui créeront des effets dynamiques avec à la clef une croissance économique accrue, de l’emploi, de la productivité et des bases imposables (dont les salaires…).
J’espère que le discours sur l’état de la nation d’avril sera à la hauteur des enjeux… L’avenir de la nation ne se conçoit pas sans les entreprises, et ceci également en matière de fiscalité. En ce sens, je rappelle que l’incertitude tue l’impôt et a contrario l’attractivité et la prévisibilité font l’impôt.
bravo parfait
1 vraie lecon d economie
l europe est grande
au moindre ecart du Luxembourg
les investisseurs iront voir ailleurs
la Belgique les pays bas l Irlande le Portugal
la suisse l Allemagne le royaume uni….
Très bonne analyse. Sujet extrêmement important pour nous tous.
Excellent et sage. J’espère que le Ministre des Finances, celui de l’Economie et le Gouvernement dans son ensemble feront preuve de sagesse en s’inspirant des recommandations de Carlo
Michel Wurth