Le Gouvernement a présenté le 12 octobre dernier non seulement le budget 2017, mais également, pour la 3ème fois, le projet de budget pluriannuel (2016-2020 en l’occurrence). Malgré qu’on peut qualifier ce projet de « budget de croissance », alors qu’il se base sur des performances économiques ambitieuses, je décèle dans cette mouture budgétaire un goût de « trop peu ».
Trop peu du point de vue de la forme même du budget, tout d’abord. Il y aurait beaucoup à dire à ce propos, mais je me cantonnerai ici à la nécessité de simplifier le format du « paquet » budgétaire, en opérant une distinction plus nette qu’actuellement entre, d’une part, le budget annuel avec ses multiples articles, et, d’autre part, la programmation budgétaire pluriannuelle. Cette dernière ne peut se baser sur une approche « par article » détaillée. En d’autres termes, elle ne peut se contenter de n’être qu’une sorte de redite du budget de l’Etat avec davantage de colonnes… La programmation en question doit plutôt tracer le cadre général de la politique budgétaire, fixer les accents et les priorités politiques pour les années à venir et la façon dont ils s’inscrivent dans un horizon de moyen terme.
Je note également trop peu de prudence en ce qui concerne l’environnement économique. Au sein d’une zone euro qui devrait connaître un ralentissement de sa croissance en 2017, malgré des indicateurs de confiance mitigés, en dépit des prévisions moins flamboyantes de diverses institutions (nationales et internationales), de l’incertitude (géo)politique ambiante, de la contestation du libre-échange et j’en passe, le moteur économique luxembourgeois serait rutilant et vrombissant, avec une croissance de près de 5% en 2017 (4,6%) et en 2018 (4,9%). Presque trop beau pour être vrai, car cela représenterait, par rapport à la « pente des 3% » prévalant en 2015 et 2016, une accélération proche de 2 points de pourcentage. Ce sursaut ne peut être imputé à la réforme fiscale, largement axée sur les personnes physiques malgré l’environnement international très évolutif en termes d’imposition des sociétés. La réforme en question induirait selon le STATEC une hausse du PIB limitée à 0,2 point de pourcentage et une progression de l’emploi de 0,1% seulement. L’accélération de la croissance de 2015-2016 à 2017-2018 s’expliquerait en partie par une progression des cours boursiers. Ce n’est pas exclu, mais tabler sur un « rallye » boursier constitue un pari sur l’avenir, dans un environnement international très évolutif.
Trop peu en termes de soldes des Administrations publiques [1], ensuite. Malgré un scénario macro-économique optimiste et sous l’effet notamment de la réforme fiscale, le désormais célèbre « effet ciseau » se renforcerait en 2017, les dépenses progressant nettement plus vite que les recettes. Dans ces conditions, le surplus public total passerait de 1,6% du PIB en 2015 et 1,2% en 2016 à 0,3% en 2017 et 0,7% en 2020. Comme le montrera la Chambre de Commerce dans l’avis qu’elle présentera le 18 novembre prochain, ces 0,7% fondraient de surcroît comme neige au soleil en cas de prolongation de la (somme toute assez honorable) « pente de croissance des 3% » en 2017 et 2018, en lieu et place des taux de près de 5% anticipés pour ces deux mêmes années dans le projet de budget pluriannuel.
Il s’agit là, pourtant, du surplus des Administrations publiques, y compris donc le confortable excédent de la sécurité sociale, qui se serait monté en 2016 à près de 850 millions d’euros. Or le vieillissement devrait atomiser ce surplus d’ici une dizaine d’années. A politique inchangée et même sous le fameux scénario « Luxembourg à 1,1 million d’habitants », qui amoindrit l’effet mesuré du vieillissement car il atténue la progression du taux de dépendance démographique, le surplus de la sécurité sociale passerait de 1,6% du PIB en 2016 et 1,3% du PIB en 2020 à un zéro pointé peu après 2025, puis à de substantiels déficits par la suite. Une possible dégringolade bien avant 2060, dans un futur assez proche.
Trop peu, également, en ce qui concerne l’Administration centrale. En l’absence de ce « paravent » que constituent encore actuellement les surplus de la sécurité sociale, les déficits de l’Administration centrale deviendront encore plus apparents, alors qu’un déficit de près de 1 milliard d’euros est programmé pour 2017. La conséquence de ces importants déficits sera, mécaniquement, une progression du montant de la dette publique.
La dette plafonnerait néanmoins à 23-24% du PIB d’ici 2020, de sorte que la spirale de l’endettement serait enrayée. Je suis d’accord… si la croissance rejoint les sommets précités de 5% environ en 2017 et 2018. Dans le cas contraire d’une croissance de 3% en 2017 et 2018 et si, par ailleurs, la réforme fiscale devait s’avérer plus coûteuse que prévu (« facture » de l’ordre de 1,5% du PIB comme estimé par la BCL et non de 0,8% du PIB comme attendu par le Gouvernement), la dette brute consolidée des Administrations publiques pourrait grimper selon nos calculs jusqu’à 28% du PIB en 2020, à un souffle donc de la norme gouvernementale des 30% qui, pour rappel, consiste à « maîtriser, voire réduire la dette publique de façon à la maintenir à tout moment en-dessous de 30% du PIB ». Pour empêcher un dérapage de cette envergure – ou, plus précisément, pour stabiliser le ratio d’endettement vers la fin de la période 2017-2020 couverte par le projet de budget pluriannuel – le Gouvernement devrait (certes graduellement) dégager de nouvelles économies, à raison de 1% du PIB environ. Un nouveau « Zukunftspak » en somme. Qui devrait être effectivement appliqué.
Enfin, trop peu de marges de manœuvre pour de futurs investissements, face à des besoins potentiellement énormes. La formation de capital de l’Administration centrale n’atteindrait plus que 7% des dépenses totales en 2020 selon le projet de budget pluriannuel, contre 9% en 2016 et des pics de plus de 10% en 2003 et 2005. Le tout malgré le scénario « Luxembourg à 1,1 million d’habitants », qui est incorporé dans les chiffres budgétaires, nonobstant les discussions actuelles autour d’une croissance plus qualitative ou intensive. En attendant une telle croissance plus économe en ressources (naturelles, humaines, …) , le scénario à 1,1 million d’habitants sollicitera intensément nos infrastructures : transport, crèches et écoles, logement, notamment, qui s’ajouteront aux investissements requis pour réussir la digitalisation de la société et de l’économie luxembourgeoise (e-services publics, interconnexion entre administrations étatiques, efforts de sensibilisation des entreprises luxembourgeoises, etc.).
A la compression de la proportion des investissements dans les dépenses de l’Administration centrale correspondrait une hausse des dépenses courantes – l’emploi public notamment. Les investissements publics présentant un effet d’entraînement économique bien plus élevé que les dépenses courantes, avec des « multiplicateurs budgétaires » beaucoup plus conséquents, l’effet de balancier prévu au budget ne pourrait que pénaliser la croissance économique à court et long terme.
Plus que jamais, tout budget requiert une vue d’ensemble : soutenabilité financière, cohésion sociale, infrastructures, démographie, diversification, compétitivité, fiscalité des sociétés, etc. Même si le projet de budget constitue une avancée à divers égards, force est de constater que les objectifs budgétaires qu’il renferme sont fragiles, car ils sont étroitement conditionnés à l’évolution économique nationale et internationale et au contexte (géo) politique d’ensemble.
[1] C’est-à-dire schématiquement l’Etat et les fonds spéciaux, la sécurité sociale, les communes.
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