Le Gouvernement a déposé en mars 2017 un projet de loi important[1], qui aboutira à une révision en profondeur de la législation luxembourgeoise sur les pensions complémentaires professionnelles (2ème pilier), notamment en ce qui concerne les obligations d’information, la protection des affiliés, le calcul, le transfert et le rachat des droits acquis, les bases techniques ou encore la fiscalité. Le projet étend par ailleurs l’accès aux régimes complémentaires de pension (RCP) aux indépendants et professions libérales.
Ce projet de loi sur les pensions complémentaires est essentiel pour le Luxembourg, pays où le 2ème pilier des pensions est peu développé par rapport à la situation prévalant dans de nombreux autres pays européens. Ainsi, les actifs totaux sous gestion des RCP se limitaient au Grand-Duché à 3,6% du PIB à la fin de 2015, contre 16,5% du PIB en moyenne pour la zone euro et même 25% du PIB dans l’UE. Ces résultats mitigés contrastent vivement avec la forte spécialisation financière du Luxembourg. Les RCP pourraient pourtant aider les particuliers à atténuer les conséquences futures de la soutenabilité à terme compromise des régimes de pension « officiels » du 1er pilier. Enfin, les RCP constitueraient pour le Luxembourg une excellente opportunité de diversification économique.
Malheureusement, le projet de loi renferme divers points qui risquent, dans l’état actuel des choses, d’entraver le développement des pensions complémentaires.
Ainsi, le projet prévoit l’abandon pur et simple du mécanisme de rachat des droits acquis, alors que ce mécanisme revêt une importance névralgique pour les employés optant pour un emploi dans un autre pays. Cet abandon entrave la mobilité internationale, le rachat permettant actuellement à des travailleurs internationalement mobiles d’éviter la double imposition. Enfin, l’abandon du rachat pourrait obliger les gestionnaires des RCP à suivre « à distance » des contrats atteignant de faibles montants, avec à la clef de considérables coûts administratifs.
La fiscalité constitue un autre domaine préoccupant. Le projet de loi renferme en effet diverses dispositions fiscales susceptibles de contrarier la montée en puissance des RCP au Luxembourg. Il est notamment prévu, en ce qui concerne le montant maximal déductible au titre des contributions de l’employeur, que la limite de 20% du revenu annuel prévalant déjà actuellement pour les salariés s’accompagne d’un nouveau plafond, valant tant pour les indépendants que pour les salariés, ramenant le revenu annuel pris en compte à cinq fois le salaire social minimum de référence (SSM). Ce plafond additionnel cantonnerait la déduction maximale à 23.983 EUR par an (soit 20%, portant sur 5 fois le SSM annuel). A cause de ce double plafonnement, les RCP luxembourgeois ne seraient plus guère en mesure d’attirer au Grand-Duché des compétences et « forces vives » nouvelles. Un autre problème occasionné par ce double plafond est le fait qu’il ne prend pas en compte la forte volatilité, d’une année à l’autre, du revenu net des indépendants – qui n’est en outre connu qu’avec une année de retard. Il conviendrait au minimum, dans ce contexte, d’utiliser comme base pour les indépendants non le revenu annuel, mais une base connue au moment du versement de la contribution. On pourrait par exemple envisager comme référence un montant « lissé », tel que le revenu net moyen calculé sur les 5 années précédentes.
Toujours sur le plan fiscal, il est regrettable que le projet de loi fasse l’impasse sur un plus large accès de la population aux RCP, qui aurait pu être assuré via un élargissement du champ d’application et du montant de la contribution personnelle aux RCP qui, depuis de nombreuses années, stagne à 1.200 EUR par an. Cette déduction est un des parents pauvres de la réforme fiscale introduite le 1er janvier 2017. Par ailleurs, le législateur devrait revoir à la baisse le taux d’imposition forfaitaire libératoire à la source de 20% portant sur l’intervention de l’employeur, qui dissuade la participation aux RCP des titulaires de revenus faibles et moyens.
Un autre inconvénient de taille du projet est l’adaptation des bases techniques servant à la détermination du financement minimum et l’application de nouvelles tables de mortalité. Selon une enquête effectuée au printemps 2017 par deux fédérations professionnelles auprès de leurs affiliés, il pourrait en résulter une hausse considérable du montant actualisé des acquis totaux de pension, allant dans certains cas jusqu’à 30 ou même 40%.
Par ailleurs, en ce qui concerne la préservation des droits acquis dans les régimes à prestations définies suite au départ d’un employé, le projet de loi retient une solution compliquée qui n’est aucunement imposée par la directive, basée sur un mécanisme d’indexation des droits acquis. Ce mécanisme engendrerait pour de nombreuses entreprises un coût supplémentaire conséquent.
Le projet constitue enfin un recul en termes de simplification administrative, car il aboutit souvent à une complexification de certaines règles. En témoigne notamment l’obligation de retenue d’impôt prévue dans le projet, qui pèserait sur le gestionnaire du régime en ce qui concerne les contributions versées à un RCP agréé pour indépendants.
Dans ces conditions, une consultation des principaux acteurs concernés devrait être organisée dans les meilleurs délais, afin de mieux calibrer les retombées économiques du projet de loi et d’assurer une réelle montée en puissance d’une activité essentielle tant pour la diversification de l’économie luxembourgeoise que pour la situation financière future des retraités. De nombreux aspects du projet de loi actuel risquent d’entraver la réalisation de ces objectifs.
[1] Projet de loi n°7119 portant : 1. transposition de la directive 2014/50/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux prescriptions minimales visant à accroître la mobilité des travailleurs entre les Etats membres en améliorant l’acquisition et la préservation des droits à pension complémentaire ; 2. modification de la loi modifiée du 8 juin 1999 relative aux régimes complémentaires de pension ; 3. modification de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu. Ce projet de loi fait l’objet d’un avis commun de la Chambre de Commerce et de la Chambre des Métiers.