« Pour faire, il faut de plus en plus de savoir, de savoir-faire, et de faire-savoir »[1]
Les actifs immatériels – recherche et développement, brevets, logiciels, modes organisationnels, capital humain, … – ont une importance de plus en plus prépondérante au sein de nos économies mondialisées.
Depuis le milieu des années 1990, nous faisons face à une véritable « dématérialisation » de l’économie, engendrant une transformation considérable de secteurs historiques et favorisant l’émergence de nouveaux modèles d’affaires et d’activités économiques. Ainsi, selon le magazine américain Forbes, les actifs immatériels représentent aujourd’hui environ 80% de la valeur des entreprises cotées et, dorénavant, dans le secteur automobile, jusqu’à 40% des coûts de développement liés à la mise en circulation d’un nouveau modèle sont imputables aux logiciels. La plateforme d’intermédiation Airbnb ne possède ni hôtels ni agences de voyages physiques, seulement des actifs immatériels, tels que des bases de données d’utilisateurs, des logiciels et des algorithmes de recherche. Uber est la plus grande société de transport du type taxi et ne possède pourtant aucun véhicule. Facebook est la société qui détient le média le plus populaire, mais ce sont les utilisateurs qui produisent les contenus, et il existe de très nombreux exemples dans la même veine, comme Amazon, Alibaba ou encore Google. Ce sont pourtant ces marques qui arrivent en tête de classements de valorisation des marques les plus chères.
Mais en raison de leurs caractéristiques, de leur complémentarité et des difficultés inhérentes à leur valorisation, évaluer leur impact sur la performance économique, au niveau macroéconomique ou au niveau de l’entreprise, demeure un casse-tête. De même, les obstacles méthodologiques auxquels se heurtent les économistes et les statisticiens sont nombreux. Toutefois, selon une étude de l’Office Européen des Brevets (OEB) et de l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) les secteurs qui font un usage intensif des droits de propriété intellectuelle contribuent en Europe à 42% du PIB et 28% des emplois. Il apparaît dans cette étude que le Luxembourg se situe au-dessus de la moyenne européenne avec 45% du PIB et 38% des emplois.
Donc, le processus de création de valeur se voit bouleversé. Et ce changement de paradigme économique nécessite une adaptation des méthodes et modèles. Au niveau des pouvoirs publics : les décideurs doivent repenser leurs anciens cadres d’action publique, adaptés à un monde où primait le capital physique, dans les domaines du financement, de la fiscalité, de l’entrepreneuriat, de la concurrence, de l’information financière des entreprises, etc.
Pour les entreprises aussi, gérer ce changement de paradigme et leurs actifs immatériels est un défi de taille qui, s’il est relevé, pourra être source de valeur et de performances. Mais les retombées des investissements dans les actifs immatériels sont fonction, dans une large mesure, de l’aptitude des dirigeants à les sauvegarder et à les protéger. Or, une partie d’entre eux peuvent l’être légalement et juridiquement par le biais des droits de propriété intellectuelle.
Cependant le chemin peut être semé de difficultés pour les entreprises non sensibles et coutumières à cette matière.
Tout d’abord, je constate que les acteurs façonnant le paysage de la propriété intellectuelle sont très nombreux, et les procédures d’enregistrement multiples. Car un brevet unique pour l’ensemble de l’Europe fait toujours défaut, bien que certains acteurs l’attendent avec impatience, en raison de la baisse considérable du coût de la protection par brevet en Europe qu’il engendrerait. Le marché unique a urgemment besoin d’un brevet unitaire. En effet, grâce au régime de traduction allégé et au recours aux traductions par ordinateur, ce dernier passerait de 32.000 EUR actuellement à moins de 5.000 EUR, ce qui lui permettrait de rivaliser davantage avec les brevets américains et japonais. Ceci consoliderait la position de l’UE en tant que première économie mondiale basée sur le savoir.
Par ailleurs, une fois un brevet ou une marque obtenue, il ne suffit pas de laisser le titre dans un tiroir, loin s’en faut. A tout moment, les entreprises doivent en avoir une connaissance parfaite : les propriétaires de droits de propriété intellectuelle peuvent s’en voir déchus, par exemple en cas de non-paiement de la redevance annuelle pour les brevets, ou de non-utilisation durant cinq années consécutives d’une marque. Ensuite, je préconise de lister les actifs de propriété intellectuelle détenus, de conserver en un seul lieu les données y relatives et d’effectuer un recensement rigoureux des coûts, pour obtenir des exonérations fiscales. Le Luxembourg a en effet mis en place un nouveau système d’incitation fiscale, sous l’article 50ter de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu. Ce dernier vise à faire bénéficier d’un régime fiscal favorable le contribuable qui supporte effectivement des dépenses de R&D et qui en tire certains revenus, et ce conformément aux consensus dégagés dans le cadre des projets du « Forum of Harmful Tax Practices » (FHTP) de l’OCDE et du « Plan d’Action sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices » (BEPS). En outre, un système de veille est incontournable afin d’être en permanence à jour avec l’information technique relative à un domaine particulier. Dans les années 1990, la majorité des offices de propriété intellectuelle, tant nationaux qu’internationaux, ont rendu accessibles au public, gratuitement ou par le biais de services payants, leurs registres des titres de propriété industrielle. Il s’agit de mines d’informations à ne pas négliger.
Last but not least, défendre ses droits de propriété
intellectuelle à l’égard de la contrefaçon doit également faire partie
intégrante de la stratégie de l’entreprise. En effet en cas d’inaction, une
« forclusion par tolérance d’actes de contrefaçon » peut être prononcée lorsque
la défense n’a pas été assez active et l’entreprise a toléré les méfaits. Or,
l’entreprise dont les produits sont contrefaits risque de voir ses ventes
diminuer, ses parts de marché se restreindre et son chiffre d’affaires
décliner. Quelques chiffres valent mieux qu’un long discours : la présence
de contrefaçons au Luxembourg ferait perdre, aux secteurs les plus touchés,
7,8% de leurs ventes directes chaque année, ce qui représente environ 90
millions EUR, selon une étude de l’Office de l’Union européenne pour
la propriété intellectuelle (EUIPO). De nombreuses entreprises risquent
de voir leurs produits contrefaits et contrairement aux idées reçues, les
économies émergentes, et notamment la Chine, assistent aussi à une
recrudescence d’atteintes aux droits de propriété intellectuelle de leurs
entreprises nationales. Le développement du commerce électronique a donné aux
contrefacteurs un nouveau moyen d’accéder aux consommateurs (qu’ils soient
conscients ou non d’acheter des « faux »). Les produits contrefaits sont ensuite souvent
envoyés via les services postaux ou de livraison express en petits envois, le
cas échéant moyennant le recours à une plateforme numérique.
Si la transition numérique a donné de nouveaux moyens d’actions aux contrefacteurs, elle impacte également l’ensemble des régimes de propriété intellectuelle qui n’ont pas toujours su évoluer au même rythme, laissant apparaître de nombreux défis dans ce nouveau modèle économique de l’immatériel. Concurrence et collaboration s’y côtoient plus que jamais, alors qu’elles paraissent, de par leur nature, opposées. En outre, les évolutions technologiques facilitent le copiage et les imitations.
La protection des données des entreprises est au cœur des débats et le challenge est de taille : trouver un juste équilibre entre leur divulgation et leur protection, et ce afin de favoriser l’innovation et le développement de nouvelles technologies, tout en protégeant suffisamment les titulaires de droits.
Si les défis apparaissent nombreux, les opportunités sont
d’autant plus grandes. Identifier, exploiter et valoriser son capital
immatériel permettront aux entreprises de se différencier de leurs concurrents
et à notre économie de progresser à travers la croissance qualitative.
[1] Jean Marie Albertini, Science et Vie Economie, septembre 1986.
Plus d’information sur cette thématique dans la publication A&T n°23 consultable en cliquant ici
Merci, Tout a fait d’actualite, aussi pour les innovateurs et les starts Up, meme crispant.. Jean Pierre Willems