La crise socio-économique découlant de la pandémie Covid-19 est loin d’ être terminée. Il est ainsi trop tôt pour tirer dès à présent les leçons de cette crise, de sa gestion, des remèdes et des solutions proposées pour aider les entreprises et leurs salariés. Cependant, quelques faits et enseignements qui étaient déjà connus et palpables avant la crise se sont confirmés, voire se sont renforcés pendant cette période inédite pour notre société et les différents agents économiques, qu’il s’agisse des consommateurs, des producteurs, des investisseurs ou de l’Etat.
Il s’agit du retard pris par le Luxembourg dans deux domaines clés qui agissent directement sur l’attractivité de l’économie et du cadre dans lequel évoluent les entreprises, en l’occurrence la simplification administrative et la digitalisation des services publics.
Un des buts de la digitalisation des services publics est de simplifier la vie des administrés, citoyens, entreprises etc. Il est dès lors primordial de la penser de pair avec la simplification administrative. Une utilisation non intuitive des services administratifs et un traitement des dossiers trop long, par exemple, risqueraient de freiner un certain nombre d’entreprises dans leur développement ou leur pérennité financière, ou de contrarier tout effort de relance économique ou de développement rapide de nouvelles infrastructures publiques essentielles, not. en faveur du logement, de la mobilité et du développement économique (zones d’activités, …).
Que ce soit en période de haute conjoncture ou en période de crise conjoncturelle ou structurelle : la simplification et la digitalisation, deux concepts qui sont intimement liés, sont deux prérequis pour le développement socio-économique et pour soutenir la phase de relance post- covid.
Où se situe le Luxembourg en termes de digitalisation en comparaison avec les autres pays de l’Union européenne ?
Depuis quelques années, le Luxembourg fait preuve d’une constante amélioration en matière de digitalisation. Le rapport annuel portant sur l’indice relatif à l’économie et à la société numériques (DESI)[1] élaboré par la Commission européenne pour tous les Etats membres, le montre bien : le Luxembourg se situe en 6ème position du classement général de 2019, alors qu’il se positionnait seulement au 8ème rang en 2015. L’indice DESI se base sur 5 dimensions pour mesurer la progression du processus de digitalisation du pays : la connectivité[2], le capital humain[3], l’utilisation des services Internet[4], l’intégration de la technologie numérique[5] et les services publics numériques[6] .
Bien que le score obtenu par le Luxembourg pour la dimension des services publics numériques progresse d’année en année, cette dimension reste un maillon faible de la digitalisation au Grand-Duché, se situant en-dessous de la moyenne des pays de la zone euro, en 17ème position. Il semble donc nécessaire d’accélérer la digitalisation des administrations publiques; des améliorations peuvent encore être apportées en termes de conception des procédures et de gestion des demandes par les administrations publiques.
Par exemple, le Luxembourg était encore à la traîne, comparé à la moyenne de l’UE, en matière de recours des citoyens aux services d’administration en ligne (55% des citoyens luxembourgeois contre 64% dans l’UE). Cette faiblesse de la « demande » peut sans doute être expliquée en partie par une offre insuffisante de services publics digitaux, le manque de formulaires électroniques préremplis et l’étendue générale des services en ligne encore perfectible.
Points positifs : le développement du portail Guichet.lu, voué à devenir le guichet unique pour toute procédure administrative, est considérable. Le déploiement de l’eSanté (à savoir, les services de santé en ligne, l’échange de données médicales et l’établissement d’ordonnances électroniques par les médecins généralistes), bien qu’en retard sur la moyenne de l’UE, progresse fortement d’année en année grâce à la stratégie nationale de santé en ligne du Luxembourg.
Avec l’objectif de devenir plus résilient en cas de futures crises ou de résurgence du Covid-19 et de rendre les procédures administratives plus simples et efficientes afin d’améliorer constamment l’environnement entrepreneurial des entreprises, et en particulier des PME et des TPE, il faut rapidement se pencher sur des opportunités d’amélioration des services publics et administratifs, qui concernent la digitalisation des services public en soi ou des champs d’action où la digitalisation peut être un remède et un accélérateur.
Les avantages liés à un système administratif et un service public efficients et digitalisés sont nombreux. Que ce soit en termes de gain de temps ou d’argent, ceux-ci bénéficient aussi bien aux citoyens qu’aux entreprises, et aux administrations publiques elles-mêmes. Une digitalisation performante permettrait d’ailleurs à l’Etat de mieux appréhender les besoins des destinataires de ses services, par exemple à travers une collecte « au jour le jour » d’indicateur de satisfaction de ses « usagers ». Plus généralement le « Big data », dans le strict respect de la vie privée bien entendu, constituerait un précieux outil vers une gestion publique plus efficiente. La crise sanitaire actuelle a fait prendre encore un peu plus conscience de l’importance des outils digitalisés, que ce soit pour télétravailler, effectuer des demandes d’aides à l’Etat ou procéder à toute autre démarche administrative, à distance et sans se déplacer.
Toutefois, bien que cette crise ait sans doute significativement accéléré l’implémentation des outils digitaux, notamment au sein des entreprises, certaines limites et failles se sont révélées.
Illustrons celles-ci par un exemple repris par les médias : la procédure en ligne de la première vague de demande de chômage partiel, chômage que beaucoup d’entreprises se sont vu refusé dans un premier temps en raisons de dossiers incomplets ou illisibles. Le formulaire et la procédure de demande simplifiée en ligne n’étaient pas encore disponibles en date du 27 mars 2020, juste après le début du confinement annoncé par le Gouvernement et la fermeture partielle, voire complète, de nombreux commerces et entreprises. Ces dernières ont donc dû, en un délai relativement court, faire leur demande via le formulaire existant ou par e-mail. La méthode de traitement des dossiers, alors en place et non adaptée à un nombre simultané aussi élevé de demandes, n’a pas permis un traitement efficace. Les délais de traitement ont ainsi fortement augmenté, laissant les entreprises en attente d’une réponse rapide, dans l’incertitude quant à leur développement, voire leur survie à court terme.
Depuis, une procédure simplifiée et entièrement digitalisée a été mise en place, montrant que le Gouvernement s’efforce d’agir dans le bon sens. Il ne devrait cependant pas hésiter à aller encore plus loin, notamment en matière de coordination et de coopération entre les administrations, en permettant notamment une interconnexion entre leurs bases de données.
A titre d’illustration, lorsqu’une entreprise fait une demande de chômage partiel et le salarié soumet simultanément une demande de congé pour raisons familiales ou de congé maladie, et étant donné que plusieurs de ces congés se recoupent dans le temps, les administrations respectives doivent vérifier quel type de congé sera accordé sur quelle période à l’employé en question. Une coordination et une coopération plus actives des administrations permettraient d’effectuer ces contrôles et vérifications de manière plus efficace.
De plus, dans le cadre du programme de relance « Neistart Lëtzebuerg », une aide à l’investissement dans la digitalisation au profit des entreprises a été décidée, ce dont il faut se féliciter. L’État pourrait montrer l’exemple en accélérant la digitalisation de l’entièreté de ses procédures.
De manière générale, un certain nombre d’opportunités peuvent émerger de la digitalisation des services publics, qui contribuent à inciter les citoyens et les entreprises à avoir davantage recours aux services publics digitaux. Rendre les documents administratifs plus intuitifs et simples à remplir, limiter la demande récurrente des mêmes pièces justificatives à chaque nouvelle demande, réduire le nombre de documents à fournir par le demandeur, préremplir au maximum les formulaires en ligne pour gagner du temps et éviter les erreurs de remplissage, ou encore mieux informer les utilisateurs quant à l’éventail de démarches et de demandes administratives disponibles en ligne sont autant d’exemples.
Bien que beaucoup de procédures aient déjà été numérisées, il faudra poursuivre les efforts, en faisant de même pour les procédures suivantes (liste non exhaustive) : la déclaration d’impôts, les certificats d’incapacité de travail, le contentieux, les réclamations et les demandes de rulings, l’autorisation d’établissement, l’autorisation de construction.
Concernant la procédure d’autorisation d’établissement par exemple, les résidents doivent à ce jour se déplacer afin de l’obtenir auprès du Centre Commun de la Sécurité Sociale (CCSS). La digitalisation de cette autorisation permettrait une continuité de ce service administratif en toute circonstance, ainsi qu’une plus grande flexibilité, notamment pour les personnes qui résident plus loin.
Dans un monde idéal, les administrations publiques devraient traiter toutes les procédures reçues électroniquement de manière exclusivement digitale et l’archivage devrait se faire uniquement de manière numérique, permettant de réduire les coûts de stockage et le temps de traitement des procédures et demandes.
Les administrations publiques doivent peu à peu repenser leurs procédures, afin de devenir plus réactives et résilientes, de réduire certains coûts pouvant être évités « facilement », mais également de minimiser le risque de dossiers égarés. Par exemple, les formulaires remplis électroniquement via MyGuichet ou envoyés par e-mail ne devraient pas être imprimés puis rescannés après traitement par les agents publics, comme cela se pratique encore dans certains cas.
Le nombre élevé d’appels téléphoniques reçus par la helpline – mise en place par la House of Entrepreneurship (HoE) de la Chambre de Commerce pendant la crise sanitaire – d’entrepreneurs ayant besoin d’assistance pour remplir les formulaires d’aides en ligne, montre la nécessité de simplifier un grand nombre de demandes et procédures. Du côté des administrations, l’automatisation du traitement des demandes, ainsi que le traitement numérique de celles-ci, permet notamment de garantir un traitement plus efficace et rapide des demandes et augmente l’efficience et la productivité des services publics de manière générale, tout en libérant des ressources au sein de l’administration publique pouvant être allouées à d’autres fins.
La sortie de crise et la relance économique y associée requièrent des pouvoirs publics un esprit visionnaire associé à un spectre d’actions ambitieux, qui doit s’envisager au travers d’investissements publics, de mesures sociales, fiscales et légales, mais aussi d’une compréhension des enjeux des économies de demain, au travers de l’attraction des talents, de l’innovation, de la simplification administrative ou de la digitalisation. Outre la nécessité d’identifier ces politiques et de les mettre en œuvre, un des facteurs clés de leur réussite passera par la sensibilisation et l’accompagnement des entreprises, le but étant de les soutenir dans l’application pratique de ces mesures pour que les entreprises se les approprient rapidement, simplement et efficacement.
[1] Lien vers le rapport 2019 de la Commission européenne sur l’indice relatif à l’économie et à la société numérique (DESI) du Luxembourg. (https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/desi)
[2] Haut débit fixe, haut débit mobile, vitesse de connexion et tarifs.
[3] Utilisation d’Internet, compétences numériques élémentaires et avancées.
[4] Utilisation par les citoyens des services de contenu, de communication et de transactions en ligne.
[5] Transformation digitale des entreprises, e-commerce.
[6] eGovernment, digitalisation des procédures administratives, eSanté.