Inondations dévastatrices dans la Grande Région, feux de forêts dans le sud de l’Europe combinés à des températures records… Une accumulation d’événements climatiques extrêmes en Europe et dans le monde a dominé l’actualité de cet été. Les conclusions des 230 experts de 60 pays, formant le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne sont donc pas surprenantes : elles démontrent avec un degré de certitude et une précision inédits que le climat change plus rapidement que prévu. Ce 6ème rapport d’évaluation « Changements climatiques : les éléments scientifiques », publié le 9 août dernier, et dont la rédaction a débuté en 2017-2018, prévient que le seuil de basculement critique de 1,5°C (par rapport à l’ère préindustrielle) sera déjà franchi aux alentours de 2030. Soit dix ans plus tôt qu’attendu encore en 2013. Pour maintenir le réchauffement en dessous de 2°C d’ici 2030, et retarder, ou au moins limiter, les effets de plus en plus néfastes et récurrents du réchauffement climatique, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme et appellent la communauté internationale à agir sans tarder.
Sachant que ce rapport s’appuie sur un éventail de preuves et de modèles scientifiques performants, il est incontestable que le consensus et les conclusions qui en découlent doivent servir de base aux décisions politiques prises aux niveaux national et international. Tous les regards seront donc tournés vers la Conférence de Glasgow sur les changements climatiques (COP26, novembre 2021), qui vise notamment à « unir le monde pour lutter contre le changement climatique ». Le changement climatique a des effets visibles pour l’ensemble des sociétés ; ce défi sociétal doit être relevé au moyen de politiques concertées et d’actions coordonnées au niveau de la communauté internationale. Des initiatives innovatrices plus régionales et locales sont complémentaires, grâce à leurs effets d’entraînement potentiels, et peuvent constituer des « best practices » efficientes pouvant être imitées par la suite.
Allier les objectifs climatiques ambitieux …
Notre pays et nos acteurs économiques n’ont pas attendu ce rapport du GIEC pour poser les jalons de la transition environnementale.
Le Luxembourg s’est fixé des objectifs climatiques ambitieux en 2020, soit une réduction de 55% de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) nationales par rapport à 2005 dans les secteurs non soumis au système d’échange de quotas d’émissions de l’UE (SEQE-UE, mieux connu sous le sigle anglophone ETS), et même la neutralité carbone d’ici 2050. Il marque ainsi son ambition plus élevée que l’objectif de réduction de 50% d’ici 2030 imposé au Luxembourg via l’ Effort Sharing Regulation de la Commission européenne.
L’objectif national de réduction des émissions de -55% est subdivisé en objectifs et trajectoires sectoriels[1]. Les différents secteurs ont en effet des profils d’émission très hétérogènes, en témoigne l’exemple du secteur des transports qui émet actuellement plus que tous les autres secteurs réunis (dopé au Luxembourg par l’impact de ventes de produits pétroliers aux non-résidents).
Les législations exigeantes en matière de performance énergétique des bâtiments et de promotion des énergies renouvelables, la gratuité des transports publics pour davantage inciter la population à y recourir pour se déplacer, la politique ambitieuse de déploiement de bornes de recharge pour voitures électriques, et prochainement l’ouverture d’une station de recharge à hydrogène, les investissements des entreprises industrielles dans les meilleures technologies disponibles, … ces quelques exemples témoignent de la volonté du Luxembourg et de ses acteurs économiques de s’engager sur la voie de la transition écologique.
Le Grand-Duché peut devenir un exemple à suivre dans sa manière de lutter contre le réchauffement climatique, si le pays continue à privilégier également à l’avenir un développement durable reposant de manière équivalente sur le triptyque économique, environnemental et social. Viser une transition climatique ou énergétique au moyen d’une décroissance économique, qui provoquerait par ailleurs un recul social, n’est pas la voie à suivre. Au contraire, il est nécessaire d’allier réduction des émissions et prospérité économique et sociale, ce qui est tout à fait réalisable. En effet, la croissance démographique forte qu’a connu le Luxembourg entre 2005 et 2017 (+28%) s’est accompagnée d’une hausse de 37% de son PIB et d’une baisse de ses émissions de près de 25% au total, équivalant à une réduction d’environ 39% par habitant.
… et les exigences du business model luxembourgeois
Le modèle d’affaires luxembourgeois est tourné résolument vers l’ouverture et l’internationalisation des activités économiques, basé sur l’attractivité de son cadre légal, règlementaire et fiscal et sur la compétitivité de ses structures, et axé sur une diversification économique et industrielle continue. Ce modèle vit in fine du dynamisme et de la performance des entreprises qui génèrent la valeur ajoutée et la richesse pouvant être distribuées à la population et consacrées aux politiques volontaristes mises en œuvre par les autorités publiques, dont également celles en matière environnementale. Bref, notre économie doit être dynamique et continuer à évoluer et à se diversifier, afin de, premièrement, générer davantage de recettes indispensables pour assurer durablement le financement d’investissements publics verts, deuxièmement, stimuler la recherche et l’innovation, et troisièmement, bien former les jeunes et attirer de nouveaux talents. Sans ces trois composantes, la transition climatique (soutenue par ailleurs par la transition digitale) nécessitera trop de temps, alors que le temps est justement en train de jouer contre nous.
Afin de diversifier durablement les activités économiques du Luxembourg et renforcer les entreprises existantes, des conditions-cadres favorables, économiquement attractives et incitatives, et des mesures de soutien pragmatiques et flexibles de la part de l’État, sont requises. Ces solutions doivent être implémentées rapidement, tout en veillant à ce que toute distorsion de concurrence avec l’étranger soit évitée. Ces solutions doivent également viser à augmenter l’efficience énergétique, tout en maintenant l’attractivité et la compétitivité de nos entreprises, surtout après la crise que nous venons de traverser. Cela est d’autant plus important dans un pays qui importe la majorité de ses ressources et l’énergie dont elle a besoin, et qui doit exporter ses biens et services dans le monde entier.
De nombreuses entreprises luxembourgeoises sont précurseurs ; elles proposent et appliquent les solutions d’avenir
Les entreprises ont bien compris leur rôle au niveau du développement durable et de la transition énergétique et environnementale. Le secteur de la construction, qui érige des bâtiments de plus en plus performants énergétiquement, le secteur de l’industrie qui investit dans des technologies plus propres et efficientes, ou encore le secteur du transport qui « verdit » peu à peu ses flottes, pour ne citer que quelques exemples. De nombreuses entreprises multinationales et PME résidentes au Grand-Duché sont ainsi précurseurs et « first mover » dans l’implémentation de solutions technologiques favorisant la réduction des émissions et l’utilisation rationnelle de l’énergie.
Le savoir-faire et l’expertise des entreprises luxembourgeoises en matière d’utilisation rationnelle des ressources seront mis en évidence lors de l’Exposition universelle de Dubaï (du 1er octobre 2021 au 31 mars 2022) dont le thème « Connecting minds, creating the future » est largement dédié au développement durable et à l’économie circulaire.
La Chambre de Commerce a mis en place un programme économique s’adressant aux entreprises luxembourgeoises intéressées, souhaitant promouvoir leurs biens et services devant un public international et étendre leurs marchés aux quatre coins du monde[2]. L’intérêt auprès des entreprises est énorme !
Il en est de même du groupe de travail dédié au développement durable que la Chambre de Commerce vient de mettre en place pour guider, conseiller et soutenir ses ressortissants tout au long de leur parcours vers, entre autres, la neutralité carbone. Dans une approche bottom-up, il vise à définir les engagements en matière de développement durable et à regrouper tout le savoir-faire et les initiatives existantes dans un plan d’action viable et pragmatique pour permettre aux entreprises de joindre le geste à la parole. Le plan d’action est développé en étroite collaboration avec des entreprises pilotes des secteurs du transport, de l’industrie et de la finance, ainsi qu’avec des associations professionnelles et d’autres organisations partenaires.
A côté de la promotion internationale des « success stories à la luxembourgeoise » , de la sensibilisation des entreprises et de l’identification de nouvelles solutions précurseurs et innovantes, les PME doivent donc être accompagnées à travers un cadre stimulant, dont des mesures spécifiques, pragmatiques et ciblées les soutenant pour réussir leur transition énergétique et environnementale.
Accélérer la transition climatique à travers un cadre stimulant pour les PME
En effet, une transition climatique réussie requiert un cadre propice pour les PME et un package d’incitations ambitieux, afin de les encourager à innover et à faire les investissements importants, tout en pouvant se développer et rester rentables.
Car basculer d’une technologie émettrice vers une technologie bas carbone ne contribuera pas à elle seule à augmenter la productivité ; ce type d’investissement conséquent pour les entreprises doit pouvoir être économiquement attractif, pour ne pas compromettre leur viabilité. Alors que le changement de technologie n’implique pas nécessairement ou automatiquement une hausse de productivité, des facteurs tels que l’absence de visibilité sur le prix du carbone font que le calcul d’un retour sur investissement est un véritable casse-tête.
Ajouter à cela des contraintes légales ou règlementaires augmente le risque de ne pas atteindre les objectifs, ou de délocaliser les émissions et avec elles les activités économiques à l’origine de ces émissions, ce qui n’apporterait strictement rien d’un point de vue environnemental au niveau global.
Les démarches actuelles pour changer de technologie peuvent s’avérer être un fardeau administratif et les démarches d’autorisations afférentes sont souvent complexes et longues à finaliser.
Afin de ne pas retarder les investissements nécessaires dans le cadre de la réduction des émissions de GES, les décideurs politiques doivent donc accélérer le processus de simplification des démarches administratives concernées pour les entreprises (en particulier pour les PME), tout en les digitalisant. Il en est de même des autorisations pour les investissements dans des technologies bas carbone. Afin d’aller plus loin, l’introduction d’allègements fiscaux supplémentaires, par exemple sous forme de super-déduction pour les investissements bas carbone, pourrait être envisagée, à l’image de ce qui se fait en France, en Italie ou encore au Royaume-Uni.
N’oublions pas non plus qu’à ce jour nous ne connaissons pas forcément les technologies qui vont s’imposer demain, qui seront peut-être plus efficientes qu’une technologie mature aujourd’hui. Afin de réduire les risques d’investissements encourus par les entreprises, l’introduction rapide d’un instrument de financement et de gestion des risques (de type de-risking) pour des projets en rapport avec la transition énergétique, tel qu’annoncé dans le PNEC, serait à saluer. En outre, les législations et réglementations doivent laisser la porte ouverte à une flexibilité, selon le principe de la neutralité technologique. La recherche, le développement et l’innovation dans le domaine des technologies vertes doivent être facilités et soutenus, tout en garantissant un accès facile à un financement adéquat, en particulier pour les PME.
En conclusion, il est important que le Luxembourg ait l’ambition d’être un leader en matière de transition climatique et d’innovation dans les technologies vertes. Mais la transition vers un modèle économique neutre au niveau climatique ne doit en aucun cas se faire au détriment de la croissance et de la diversification économiques du Luxembourg, mais, au contraire, stimuler et dynamiser celles-ci, à travers un cadre propice pour les entreprises et un dialogue permanent entre les décideurs politiques et les acteurs économiques.
[1] Les objectifs sectoriels sont répartis entre cinq secteurs, couvrant ainsi l’ensemble des secteurs, à savoir (1) l’industrie de l’énergie et manufacturière, et la construction, (2) les transports, (3) les bâtiments résidentiels et tertiaires, (4) l’agriculture et la sylviculture, et (5) le traitement des déchets et des eaux usées.
[2] Cf le programme économique Expo Dubai sous www.cc2020.lu .