2022 a vu le lancement du « Luxembourg Metaverse (1) », un espace de réalité virtuelle interactif où les internautes peuvent, via un avatar, participer à des évènements et visiter des lieux divers (ex : points de vente numériques, expositions…) sans quitter le confort de leur salon. Bien qu’il ne soit qu’à ses premiers balbutiements, ce projet ambitieux fait pressentir un vent de changement sur la nature des interactions sociales et économiques dans leur ensemble. Force est de constater que l’intégration progressive des technologies digitales, concomitante à la baisse du coût de la collecte, du stockage et du traitement des données, a fait émerger un environnement dans lequel mondes numérique et physique se superposent. Le concept de « datasphère » a ainsi vu le jour.
Et cette dernière est vouée à se développer rapidement. En seulement dix ans, entre 2010 et 2020, le volume total des informations stockées au niveau mondial dans les systèmes informatiques a été multiplié par 32. Et ce n’est pas tout : selon les prévisions de l’International Data Group (2), ce volume devrait encore tripler d’ici 2025 !
Le « Big Data », qui désigne cette omniprésence de données volumineuses, variées, véloces et trop complexes pour être traitées par l’esprit humain seul, fait le buzz depuis déjà plus d’une dizaine d’années. Souvent assimilé à « l’or noir du 21e siècle », son potentiel suscite l’émerveillement, mais également de nombreuses interrogations. Il existe désormais une technologie qui permet d’exploiter les données afin de générer des bénéfices économiques, sociaux et environnementaux significatifs : l’intelligence artificielle (ci-après « IA »), c’est-à-dire « l’ensemble des théories et des techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l’intelligence humaine (3) ».
Nouveaux services, nouveaux avantages compétitifs
L’IA peut être facteur de progrès, via par exemple l’amélioration des diagnostics médicaux ou une meilleure utilisation des ressources grâce aux technologies intelligentes (ex : villes intelligentes, gestion du trafic pour une meilleure mobilité, agriculture durable, etc.). En outre, son déploiement entraine l’apparition de nouvelles industries, de nouveaux biens et services et de nouveaux processus à l’origine d’avantages compétitifs significatifs dans tous les secteurs économiques, des plus traditionnels aux plus novateurs.
Au niveau des entreprises, les nouveaux outils relatifs aux données comportent de nombreux avantages. Ils permettent par exemple d’améliorer les processus de prise de décision, de sécuriser et d’augmenter les revenus tout en réduisant les coûts, d’optimiser l’ensemble des processus de production (donc d’augmenter leurs capacités d’investissement et d’innovation), de réaliser des gains de productivité et de saisir de nouvelles opportunités d’affaires. La révolution du « Big Data » a donné le départ à une nouvelle « ruée vers l’or », où la rapidité de l’intégration technologique octroiera aux entreprises les plus résilientes et agiles, un bonus de compétitivité (« first mover advantage »).
Actuellement, les firmes et puissances économiques rivalisent dans le domaine du « Big Data » et de l’IA pour asseoir leur supériorité technologique et garantir leur compétitivité économique sur la scène internationale. Pour cela, les principales économies dans le monde, dont le Luxembourg, ont déjà entamé leur cheminement pour devenir des « data-driven economies », c’est-à-dire des écosystèmes qui s’appuient systématiquement sur la collecte et l’analyse des données dans leur processus de création de valeur, afin de devenir plus efficientes et résilientes.
Le Grand-Duché a déjà commencé à bâtir de solides fondations en ce sens et cumule les avantages pour adopter les nouvelles technologies relatives aux données et à l’IA. Parmi ceux-ci, on peut par exemple citer les infrastructures digitales modernes (ex : MeluXina, 5G), l’acceptation sociale croissante, la position de place financière prépondérante, la présence d’un écosystème de recherche et d’éducation en pleine croissance, ainsi que la participation à de nombreuses initiatives novatrices et ambitieuses dans le domaine du « Big Data » (ex : projet GaiaX de mise en place d’une infrastructure européenne de données sécurisées, conception d’un cloud (4) souverain luxembourgeois).
Avoir un cadre réglementaire adapté
Malgré tous ces éléments favorables, il est vital que le Luxembourg redouble d’efforts pour accélérer sa transition vers un modèle compétitif et attractif de « data-driven economy ». Pour cela, une des priorités devrait être d’assurer un cadre règlementaire adapté aux besoins des entreprises garantissant à la fois sécurité et compétitivité. Les propositions de règlements européens sur les données (« Data Act ») et sur l’IA (« AI Act ») sont actuellement en cours de négociation au niveau de l’Union européenne. Comme ces textes définiront les fondements sur lesquels cette technologie se développera en Europe dans les années à venir, ils font l’objet d’un suivi rigoureux par la Chambre de Commerce. Cette dernière a ainsi émis un certain nombre de propositions d’amendements et de commentaires visant à influer sur le contenu législatif et assurer un terrain économique viable pour les entreprises luxembourgeoises.
Etablir des règles harmonisées pour l’accès et le partage équitable des données (dans le contexte des relations B2B, B2C et B2G) et faciliter le changement de fournisseurs de services cloud et edge : tels sont les objectifs du « Data Act » en cours de définition. A priori, c’est une initiative propice au développement d’une économie de données. Je dis « à priori », car il existe un écueil dans lequel il ne faut surtout pas tomber : celui d’une approche démesurément contraignante qui se traduirait par des obligations légales et techniques trop rigides et coûteuses pour les entreprises, en termes notamment de « compliance ». Par ailleurs, d’autres adaptations à la proposition de règlement sont nécessaires. Ainsi, la Chambre de Commerce et la FEDIL ont publié une prise de position commune (5) pour revendiquer, entre autres, des règles proportionnées et adaptées aux objectifs, de meilleures garanties pour protéger les secrets commerciaux des entreprises, une responsabilité partagée entre les parties prenantes dans le cadre d’un processus de changement de fournisseur cloud, ou encore la possibilité de recourir à un organe de règlement alternatif des litiges déjà existant (au lieu de supporter le coût de la création ou de la certification d’un organe dédié dans le domaine des transferts de données B2B).
La Chambre de Commerce a également analysé la proposition d’un « AI Act » (premier cadre juridique relatif à l’IA) qui vise à fournir aux développeurs et aux utilisateurs d’IA, des obligations claires relatives aux différents cas d’usage de cette technologie. Dans ce domaine, elle attire l’attention sur l’importance de pondérer les obligations énoncées, afin qu’elles soient proportionnées aux différents niveaux de risques pour les droits des personnes, tels qu’identifiées par la Commission européenne. Là encore, il faut à tout prix éviter que la règlementation ne vienne museler l’innovation en Europe.
Pour que l’Union européenne puisse être innovante et compétitive dans le domaine des nouvelles technologies des données, il apparait aussi essentiel d’adapter la proposition actuelle de règlement sur d’autres points. Sans être exhaustif, il faudrait par exemple, s’assurer que les dispositions soient adaptées à toutes les entreprises (des plus grandes aux plus petites), rendre les « bacs à sable règlementaires » plus attractifs, afin de permettre aux entreprises de tester des produits d’IA dans un environnement contrôlé, ou encore, prolonger la période de transposition de la règlementation afin de laisser le temps aux entreprises d’acquérir les compétences requises via le recrutement ou la formation.
En parallèle de ses démarches relatives aux propositions de règlements précédemment évoquées, la Chambre de Commerce, en tant que partenaire privilégié des entreprises luxembourgeoises, mène de nombreuses autres actions pour faciliter la transition digitale des entreprises. Elle entretient par exemple une veille économique et légale permanente, avise les projets de lois, publie des documents informatifs (ex : guides sur la cybersécurité et sur la facturation électronique) et organise des services (ex : Go Digital) et évènements (ex : cycle de conférences Ready4AI) pour soutenir ses membres dans leur adoption technologique. Enfin, plus récemment, elle a aussi publié l’Actualité & tendances « Intelligence Artificielle et Big Data : guide pour naviguer dans la future « data-driven economy » luxembourgeoise ».
Une nouvelle « ruée vers l’or » a commencé. Les données bien maîtrisées et utilisées aujourd’hui porteront leurs fruits demain dans l’intérêt des entreprises et de la société.
- 1 https://virtual-rangers-metaverse.com/
- 2 L’International Data Group (IDC) est une multinationale spécialisée en conseil et études de marché dans le domaine des technologies de l’information.
- 3 Définition de l’Encyclopédie Larousse.
- 4 Un cloud souverain est un cloud hébergé et opéré exclusivement au niveau national pour plus de sécurité.
- 5 https://www.cc.lu/toute-linformation/actualites/detail/joint-position-paper-on-the-proposal-for-a-data-act