Que ce soit en période de crise ou en phase de bonne conjoncture, les formalités et procédures administratives continuent à peser sur un grand nombre d’entreprises (et d’autres administrés) au Luxembourg et apparaissent de façon récurrente comme des défis cruciaux et des freins au développement évoqués par les chefs d’entreprises dans des enquêtes représentatives.
Voilà pourquoi la Chambre de Commerce prône régulièrement un effort ambitieux de simplification administrative, soutenue par les outils digitaux et des processus digitalisés. La première simplification à réaliser, et certainement la plus efficace, consiste à éliminer des procédures et contraintes inutiles et à remettre constamment en question les dispositions réglementaires existantes avant d’en introduire de nouvelles.
Ceci vaut surtout, mais pas exclusivement, pour les réglementations en matière environnementale : l’inflation des dispositions légales, réglementaires et autres, dont certaines sont contradictoires ou en opposition avec des objectifs politiques élémentaires, freine le développement socio-économique, sans pour autant assurer une protection optimale de l’espace naturel ou l’environnement au Grand-Duché. Des exemples de conséquences négatives d’une politique de sur-réglementation en matière environnementale sont la hausse continue des prix du logement, le frein de projets entrepreneuriaux, des retards au niveau de réalisations d’infrastructures importantes pour la société, la baisse de la propension à investir d’acteurs locaux ou étrangers, etc.
Il convient par ailleurs de respecter scrupuleusement le principe « toute la directive et rien que la directive » au niveau des transpositions européennes, et d’éviter la création d’un carcan rigide et décourageant qui risquerait de mener simplement à une délocalisation d’éventuelles « sources d’émissions ».
Il serait également pertinent de remplacer un maximum d’autorisations par un système de notification performant. Les pouvoirs publics devraient procéder à une revue complète de la législation et des procédures actuellement en vigueur. Il est urgent, entre autres, d’abroger tout texte qui ne serait plus pertinent dans le contexte actuel. Le code de l’environnement pourrait être un excellent banc d’essai, non pas pour démanteler des standards environnementaux ambitieux, mais pour dépoussiérer la législation en vigueur et libérer le droit applicable de textes vétustes, redondants et dépassés.
Dans la conduite de la politique environnementale et énergétique en général, il est indispensable d’assurer une politique clairvoyante, neutre et ouverte envers les possibilités et technologies futures, propice à l’innovation. Par exemple, le développement de la mobilité électrique doit être agencé de manière à ne pas freiner le développement de nouvelles technologies dans le domaine de l’hydrogène ou des carburants classiques. Les jalons posés dans des projets aussi importants que la politique climatique, le PNEC, la mobilité durable, la gestion des ressources secondaires (qui se substituent aux déchets dans une économie circulaire) ne doivent pas être empreints d’idéologie ou d’une compréhension trop réductrice du concept de développement durable. Ce dernier consiste bel et bien en un équilibre fin entre les considérations environnementales et sociales, mais aussi économiques.
Le développement ne sera durable que si l’économie ne suffoque pas sous les normes et standards, que notre tissu économique et industriel demeure fort et que l’innovation et la créativité entrepreneuriale trouvent un cadre propice.
De manière générale, les procédures demeurent très chronophages et nécessitent de nombreuses étapes et allers-retours entre les administrations et les entreprises. Un élément de réponse à ce fardeau réside dans la digitalisation, l’allègement et la simplification des procédures administratives, qui permettent également d’assurer une plus grande sécurité en cas de réclamation et des possibilités de recours via la traçabilité des envois, contrairement à un envoi par voie postale.
Des solutions en ce sens existent et le portail gouvernemental Guichet.lu, créé en 2008-2009, a justement pour but de fonctionner comme un interlocuteur entre les citoyens, les entreprises et l’Etat. Il a pour vocation, d’une part, d’informer le public de tous les services et démarches proposés par les administrations publiques, et d’autre part, d’héberger une plateforme sécurisée, appelée MyGuichet, un guichet unique via lequel les démarches administratives peuvent être effectuées en ligne.
Les services et formulaires proposés par cet outil sont en constante amélioration. Malgré cela, une marge de progression existe encore, notamment au niveau des points suivants :
- Les formulaires et procédures proposés sont très chronophages en raison de multiples redondances. Ainsi, certaines pièces justificatives ou informations personnelles, telles que le Relevé d’identité bancaire (RIB), le nombre de salariés, la carte d’identité ou encore le chiffre d’affaires de l’entreprise, sont requises à chaque nouvelle demande administrative.
- Bien que les formulaires et, par exemple, les aides publiques auxquelles peuvent prétendre des entreprises, soient renseignés sur Guichet.lu, aucune communication ciblée n’alerte les bénéficiaires potentiels d’une aide ou mesure donnée.
- Pendant la crise sanitaire, certaines ambiguïtés et problèmes techniques ont été constatés lors de la demande des mesures telles que le chômage partiel, les nouvelles aides directes en faveur des TPE et des indépendants, ou encore le congé pour maladie. Ces failles se sont accentuées lors de la vague de demandes en début de confinement fin mars – début avril 2020.
- Contrairement à aujourd’hui, aucun formulaire électronique pour les demandes de congé pour raisons familiales n’était disponible en ligne lors de la situation d’urgence lié à la crise sanitaire, et les demandes ont dû être traitées par e-mail. La multiplication des procédures et des voies par lesquelles les demandes s’effectuent à ce jour peuvent rendre ambiguës, voire incompréhensibles, les démarches à suivre.
- La majorité des entrepreneurs travaillent aujourd’hui depuis leur téléphone mobile ou tablette et non depuis un ordinateur fixe. Il faudrait développer une application MyGuichet permettant aux entrepreneurs « nomades » de pouvoir réaliser un suivi en temps réel de leurs démarches, tout en poussant des notifications utiles de l’administration vers l’entrepreneur, afin d’optimiser ainsi la réactivité des deux parties.
En réponse à ces faiblesses, quelques recommandations et principes à suivre sont esquissés ci-dessous :
Appliquer le principe du « Only Once »
Dès lors que le demandeur a fourni un renseignement ou un document sur MyGuichet, il ne devrait plus avoir à le fournir, sauf mise à jour ponctuelle. En effet, la demande récurrente des mêmes informations et pièces justificatives à fournir est une perte de temps et d’efficacité.
Le principe du « Only Once » dans le contexte de la digitalisation des services publics a été acté dans le Plan d’action européen eGouvernement 2016-2020[1]. Il vise plus particulièrement à réduire le fardeau administratif des particuliers et des entreprises, mais également des administrations, en incitant à la réorganisation des processus internes du secteur public. Il appartient aux pouvoirs publics de s’adapter à leurs usagers, à savoir les entreprises et les citoyens, et non l’inverse.
Au-delà de faire un pas vers la transposition du plan d’action européen eGovernment 2016-2020, appliquer ce principe permettra de systématiser le pré-remplissage des formulaires avec toutes les informations déjà fournies à une administration.
Proposer un formulaire générique pour les demandes d’aides
Le récapitulatif de toutes les démarches en lien avec le Covid-19, disponible respectivement pour les indépendants, les PME et les grandes entreprises sur Guichet.lu, marque un pas dans la bonne direction. Afin d’optimiser le processus en cas de hausse soudaine du nombre de demandes liée à la multiplication des mesures et aides disponibles (comme ce fut le cas lors de la crise sanitaire), il y a lieu d’intégrer à MyGuichet la possibilité pour les entreprises de remplir un formulaire générique, à la suite duquel ces dernières se verraient proposer des aides et mesures pour lesquelles elles sont éligibles. Elles pourraient ensuite en faire la demande via une démarche unique.
Appliquer le principe « Think Small First »
Le principe « Think Small First », qui appelle à prendre en compte dès la conception des procédures, les besoins et intérêts des PME et très petites entreprises, devrait être implémenté une fois pour toutes et les procédures et formulaires doivent être revus en conséquence. Une demande d’aide ne devrait pas représenter une contrainte disproportionnée pour les entreprises, au risque de mettre en péril les plus fragilisées et celles qui ne peuvent y accorder des ressources.
Mettre en place un outil efficace de facturation électronique
La Commission européenne souhaite, au travers de sa Directive 2014/55/UE du 16 avril 2014 relative à la facturation électronique dans le cadre des marchés publics, normaliser la facturation électronique au niveau européen, afin que son utilisation devienne interopérable entre les différents Etats membres. Une norme européenne en la matière permet d’éviter une insécurité juridique liée à ces factures et de limiter les coûts de fonctionnement additionnels pour les entreprises devant émettre de telles factures dans plusieurs Etats membres. Les avantages de la facturation électronique sont par ailleurs maximalisés lorsque l’établissement, l’envoi, la transmission, la réception et le traitement d’une facture sont entièrement automatisés.
Cette directive a été transposée au Luxembourg via la loi du 16 mai 2019 relative à la facturation électronique dans le cadre des marchés publics et des contrats de concession. Bien que son application ait été initialement prévue au 18 avril 2019, une dérogation a permis un délai supplémentaire jusqu’au 18 avril 2020. Elle s’applique à toutes les factures envoyées par une entreprise à un organisme du secteur public (État central, communes, sécurité sociale …). Dès lors, le secteur public luxembourgeois a la possibilité de recevoir, de consulter et de traiter des factures électroniques conformes à la norme européenne, en étant simplement notifié en cas de réception de nouvelles factures. Ces factures sont également acceptées en dehors du cadre des marchés publics, afin de généraliser peu à peu cette pratique.
Le Luxembourg a fait le pari de rendre progressivement obligatoire la facturation électronique, en commençant par les marchés publics du gouvernement central d’un montant élevé, puis, de l’étendre – en 4 phases successives – aux entreprises, selon leur taille.
Toutefois, un certain nombre d’entreprises, en particulier les PME et les TPE, n’ont actuellement pas les capacités et expertises nécessaires pour émettre des factures électroniques conformes à la norme européenne. Elles risquent donc de se retrouver provisoirement exclues des marchés publics, sachant que l’émission de factures électroniques est une obligation contractuelle pour déposer une candidature. Dans ce contexte, il faut rapidement implémenter une solution de facturation électronique pour les PME et les très petites entreprises, une solution qui respecterait le principe du « Think Small First ».
Un enjeu de compétitivité et d’attractivité
Simplifier les procédures administratives est un enjeu de compétitivité pour les entreprises de toute taille. C’est également un facteur d’attractivité pour le Luxembourg, qui doit convaincre les investisseurs et porteurs de projets locaux et étrangers à travers un cadre légal et réglementaire simplifié, moderne, innovant et business-friendly.
En ce sens, il est primordial de mettre en place un espace commun de dialogue entre les acteurs publics pour aider l’entrepreneur à mieux appréhender les procédures mises en place par les différentes administrations, les aides et soutiens auxquels il peut prétendre, ses obligations légales et à faciliter son parcours entrepreneurial au fil de l’évolution de ses projets.
A ce titre, la collaboration entre la House of Entrepreneurship et le Ministère de l’Economie est très fructueuse. D’autres ministères et administrations ont rejoint cette initiative lancée en 2016 par la Chambre de Commerce pour soutenir les entreprises dans les démarches administratives portant sur chaque phase de leur vie, de la pré-création, en passant par la création, le développement et la transmission.
Il faut continuer à développer cette initiative pour en faire le grand guichet unique national qui rassemble tous les acteurs en charge des procédures au sein d’une structure cohérente de concertation, de dialogue et de coordination pour aboutir à un système de facilitation et de suivi commun permettant de retracer le parcours de chaque entreprise, investisseur et porteur de projet.
En même temps, il faut passer à la vitesse supérieure dans l’assouplissement et la modernisation du cadre légal et réglementaire en faveur des entreprises, aussi bien en temps de crise qu’en phase de relance ou en situation de haute conjoncture. Le tout en tenant compte de l’intégration digitale qui revêt un aspect crucial en matière de simplification administrative.
[1] Ce plan d’action avait pour objectif de rendre les administrations publiques et les institutions publiques de l’Union européenne ouvertes, efficaces et inclusives, en fournissant des services publics numériques sans frontières, personnalisés, conviviaux et complets à tous les citoyens et entreprises de l’UE.