En période pré-électorale, les programmes des différents partis politiques comportent souvent des propositions dont le coût à moyen et long terme pour la société et les contribuables et le financement afférent ne sont pas détaillés. Parfois, des solutions simplistes sont avancées, comme une mise à contribution plus importante du capital ou des personnes morales. Et parfois, l’argument est avancé qu’au Luxembourg, l’imposition du travail et des personnes physiques serait plus lourde que celle du capital et des entreprises. Il s’agit là sans aucun doute d’une chimère qui repose sur une analyse biaisée de la contribution fiscale directe et indirecte des acteurs économiques et de l’attractivité actuelle du Luxembourg quant à la taxation des personnes morales et des entreprises.
Cette chimère repose également sur l’illusoire certitude que les investisseurs qui ont fait le choix du Grand-Duché ne puissent pas aller voir ailleurs si l’herbe y est un jour plus verte. Plus que tout autre Etat membre de l’Union européenne (UE), la prospérité du Luxembourg repose sur son pouvoir de séduction auprès des talents et investisseurs étrangers.
Les comparaisons établies entre le poids d’imposition respectivement des personnes physiques (d’ailleurs, en 2020, le Luxembourg comptait quelque 6.075 entreprises individuelles imposées sous le régime des personnes physiques) et entreprises et sociétés (imposées sous le régime des personnes morales) ne font pourtant guère de sens économiquement, sont stériles, et ne peuvent que nuire à la cohésion sociale. En effet, les entreprises et les particuliers sont étroitement liés sur le plan socio-économique. Les entreprises prospèrent grâce à la demande des consommateurs. Une imposition excessive des particuliers pourrait réduire leur pouvoir d’achat et affaiblir la demande de biens et services adressée aux entreprises. De même, une imposition excessive des entreprises et un manque d’attractivité et de prévisibilité en matière de politique fiscale peuvent réduire leur capacité à investir, à créer des emplois et à soutenir la croissance économique. Pour toutes les catégories de contribuables, l’adage “trop d’impôt tue l’impôt” reste pertinent.
Les entreprises luxembourgeoises contribuent largement aux recettes fiscales
Si l’impôt sur les bénéfices des sociétés représentait 11,7% du total des recettes fiscales de l’Etat en 2021 selon l’OCDE et puisse être considéré comme relativement faible, il est dans les faits élevé comparativement à nos pays voisins. En effet, ce pourcentage n’atteignait pour cette même année que 5,9% en Allemagne, 5,6% en France et 9,0% en Belgique. Les taux de cotisations sociales sont relativement plus faibles au Luxembourg, ce dont nous pouvons nous réjouir, car c’est un élément essentiel pour conserver une certaine compétitivité alors que notre économie souffre du coût du travail le plus élevé de l’UE. Malgré tout, c’est encore au Luxembourg que les entreprises contribuent le plus aux recettes fiscales totales lorsque l’on intègre les cotisations patronales payées.
La contribution importante des entreprises au budget de l’Etat ne s’arrête pas là. Une large part des impôts payés sur le patrimoine, là encore supérieurs au Grand-Duché par rapport aux pays voisins, leur est imputable via l’impôt sur la fortune, qui a rapporté 878 millions d’euros en 2022 au budget de l’Etat. Du fait que le Luxembourg est un des seuls Etats en Europe à l’appliquer, cet impôt risque de nuire à l’attractivité du pays en matière fiscale auprès des investisseurs. L’impôt sur la fortune est un impôt qui a confirmé au fil du temps son caractère anti-économique, accentué par le niveau élevé des taux d’intérêt. En effet, l’impôt sur la fortune limite la capacité des entreprises à s’autofinancer via leurs fonds propres, une voie à privilégier au moment où les taux d’intérêts augmentent. S’il est difficile de supprimer cet impôt en raison de son importance pour les recettes fiscales, il est nécessaire de s’accorder sur une feuille de route prévoyant des baisses de son taux. En attendant,les déductions de cet impôt pour les entreprises qui renforcent leur bilan pourraient être étendues, ceci afin de limiter les effets négatifs de l’impôt sur la fortune sur la constitution de fonds propres. Pour rappel, cet impôt est à charge des seules entreprises et n’existe plus pour les personnes physiques.
Les entreprises contribuent donc davantage aux recettes fiscales au Luxembourg qu’en Allemagne, en France ou en Belgique. Une forte capacité contributive des entreprises aux recettes de l’Etat n’est cependant ni un automatisme, ni une évidence ; elle dépend directement de l’attractivité du site économique (composé majoritairement d’entreprises de services, financiers et non-financiers), du cadre légal et règlementaire et du système fiscal s’appliquant aux agents économiques (consommateurs, producteurs, investisseurs). Si cette attractivité était souvent considérée plutôt élevée au Grand-Duché dans le passé, en comparaison avec les pays voisins notamment, ce facteur de compétitivité important est désormais menacé, suite à des modifications appliquées au système fiscal, découlant entre autres de nouvelles règles européennes et internationales et d’une réduction de la prévisibilité en matière fiscale.
La baisse d’attractivité en matière fiscale
Les entreprises luxembourgeoises estiment que les politiques fiscales nationales en font une destination moins attractive comparée aux autres pays où elles investissent. C’est le cas, selon le Luxembourgish Attractiveness Survey 2023 pour 35% d’entre elles, contre 27% qui considèrent que les politiques fiscales luxembourgeoises rendent le pays plus attractif. Cette enquête n’existe que depuis deux ans, mais il est fort à parier que l’attractivité fiscale luxembourgeoise aurait été perçue beaucoup plus positivement il y a de cela 10 ou 15 ans.
Aujourd’hui, les entreprises, les investisseurs et notamment les acteurs de la place financière ont des attentes en matière de fiscalité. Ces derniers ont placé la nécessité d’une fiscalité plus attractive en tête des besoins pour maintenir l’attractivité et la compétitivité de la place financière au sein du dernier Baromètre de l’Economie, devant le recours accru au télétravail et un meilleur cadre réglementaire pour attirer les talents. Rappelons que l’industrie des fonds est notamment pénalisée au Luxembourg par la taxe d’abonnement dans un contexte de compétition croissante sur ce secteur vis-à-vis de concurrents tels que l’Irlande. Aucun autre Etat membre de l’UE ne soumet à la taxation les avoirs nets des fonds d’investissement qui sont établis sur leur territoire. Le projet de loi visant à moderniser le cadre législatif régissant les fonds d’investissement, adopté le 11 juillet 2023 par la Chambre des Députés, est à saluer et constitue un motif d’espoir d’un regain d’attractivité du territoire luxembourgeois pour ce secteur, sachant que le projet va au-delà de la composante fiscale. Les décideurs politiques devront, au cours des mois à venir, demeurer à l’écoute de cette industrie en constante évolution pour lui offrir le cadre le plus compétitif au niveau international ; la part des recettes fiscales générées directement et indirectement par ce secteur étant très élevée, pesant 76% des revenus fiscaux de l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC) et 70% de l’impôt commercial communal (ICC) en 2021 selon la Chambre des députés.
Quelques pistes pour rendre plus attractif notre système fiscal
De manière générale, gagner en attractivité fiscale est une nécessité pour rétablir la compétitivité du site luxembourgeois et de sa place financière, vecteur indispensable pour créer la richesse à l’origine de la prospérité socio-économique du Luxembourg.
Pour ce faire, il s’agirait de faire converger le taux global d’affiche de l’impôt des sociétés, aujourd’hui à 25%, vers la médiane européenne de 21%. Petite économie fortement dépendante des investisseurs européens et internationaux, le Luxembourg ne peut plus se permettre d’appliquer un taux d’impôt sur les sociétés plus élevé que ses partenaires de l’UE.
Cette baisse devrait s’accompagner – comme mentionnée ci-avant -, d’une refonte de l’impôt sur la fortune et de la taxe d’abonnement qui constituent des “onéreuses singularités” de notre système fiscal pour les acteurs économiques, tout particulièrement de la place financière. La mise en place d’incitants fiscaux, comme une super-déduction, visant à encourager les investissements dédiés aux transitions écologiques et numériques, est une proposition de longue date de la Chambre de Commerce. L’annonce ce 12 juillet d’une “modification en profondeur” de la bonification d’impôt pour investissement, applicable dès janvier 2024, est à saluer. En revanche, le développement des startups doit être soutenu encore davantage en introduisant une réduction d’impôt (tax shelter) pour leurs financeurs ou des primes défiscalisées 1. Des intentions de soutien qui figurent dans la feuille de route de Ministère de l’Economie présentée récemment, et qu’il convient de rapidement mettre en oeuvre.
La fiscalité est un instrument majeur de politique économique, le terreau de l’attractivité et de la compétitivité de l’économie luxembourgeoise, deux facteurs indispensables pour la diversification et le développement présent et futur du Luxembourg. Des mesures fiscales innovantes et stimulantes peuvent certes comporter un déchet fiscal à court ou moyen termes, mais elles doivent in fine permettre de créer de nouvelles activités économiques générant les recettes fiscales renflouant le budget de l’Etat. En parallèle, les dépenses publiques doivent tendre vers davantage d’efficience (via une digitalisation accrue des services publics, un meilleur ciblage des transferts sociaux, des investissements ambitieux et clairement définis, etc.) et ce en vue de finances publiques saines et équilibrées, garantes du triple A luxembourgeois.
1 – Toutes ces propositions font parties intégrantes de la contribution de la Chambre de Commerce dans le cadre des élections législatives 2023 : Dossier Elections 2023 – Quel avenir pour les entreprises ?