Lors d’un dernier post, j’avais insisté sur le lien entre la croissance économique, les finances publiques et l’apport de l’étranger à l’économie. Aujourd’hui, je souhaite commenter un autre vecteur important dans ce contexte, à savoir l’évolution de la compétitivité de l’économie luxembourgeoise. Beaucoup a été dit à ce sujet, qui reste d’actualité, notamment avec la publication récente du « World Competitiveness Yearbook 2012 » de l’Institut suisse IMD (International Institute for Management Development, cf. www.imd.org et www.cc.lu ).
Cette année, le World Competitiveness Yearbook[1] (WCY) classe le Luxembourg au 12e rang mondial des économies les plus compétitives parmi 59 pays, soit un recul d’un rang par rapport aux années précédentes (11e rang mondial en 2010 et 2011). Le Luxembourg n’est donc toujours pas parvenu à rétablir son positionnement des années 2007 et 2008 (4e/5e rang mondial) et s’éloigne davantage du top 10. Une analyse détaillée du classement luxembourgeois révèle que le pays est en train de voir s’éroder certains de ses atouts traditionnels (politique fiscale, « Business regulation » et finance notamment). La perte de compétitivité-prix se poursuit tandis que les IDE et le solde relativement favorable des finances de l’Administration publique, comparativement à d’autres pays tout au moins, améliorent en apparence des résultats de classement qui auraient pu être plus décevants encore. Il incombe donc aux décideurs luxembourgeois d’agir vite afin de ne pas voir l’écart se marquer entre le Luxembourg et les pays les plus performants.
Evolution du classement général de l’économie luxembourgeoise dans le World
Competitiveness Yearbook (2008-2012)
Les pays les plus performants du classement IMD sont Hong Kong, les Etats-Unis et la Suisse. La Suède, la Norvège, l’Allemagne et les Pays-Bas sont les pays européens les mieux classés en dehors de la Suisse (rangs 5, 8, 9 et 11 respectivement). La France et la Belgique se positionnent respectivement aux 25e et 29e rangs. Quatre piliers principaux, eux-mêmes composés de sous-piliers comprenant plus de 300 indicateurs, forment la base du classement IMD, à savoir les piliers de performances économiques, d’efficacité des pouvoirs publics, d’environnement des affaires et de qualité des infrastructures.
Sans l’apport positif de facteurs cependant hautement volatils et dépendants de l’extérieur, donc qui échappent à notre contrôle, le Luxembourg s’éloignerait encore davantage du top 10. Par exemple, le Luxembourg gagne trois places dans le pilier n°1 dit des « performances économiques », une bonne chose à priori. Or, lorsqu’on se penche avec attention sur la performance économique, on se rend compte que le « driver » principal du pilier est celui des Investissements Directs Etrangers (IDE), qui passe cette année de la 15e à la 4e place. Il faut cependant rappeler que les IDE au Luxembourg sont excessivement volatils, notamment à cause d’un secteur financier disproportionné par rapport à la taille du pays, ainsi qu’à cause de flux de crédits importants (et volatils également) qui sont la conséquence d’opérations de prêts et d’emprunts opérées au sein des filiales de groupes internationaux basés dans le pays. Autrement dit, cet indicateur n’est jamais acquis et peut varier fortement d’une année à l’autre. Et sans la performance des IDE, le Luxembourg aurait en fait connu une dégradation de son classement dans le pilier consacré aux performances macroéconomiques.
Une analyse détaillée du classement luxembourgeois révèle que le pays est en train de voir s’éroder certains de ses atouts traditionnels tels que la politique fiscale, la régulation du milieu des affaires (« Business regulation ») et la finance notamment. Même si notre pays reste attractif à bien des égards, cette tendance d’affaiblissement structurel de quelques facteurs clés de notre compétitivité est inquiétante. Cette évolution est même dangereuse lorsque rien n’est fait pour redresser la barre.
Quelle importance accorder à ces études mesurant la compétitivité
d’un pays ?
La plupart de ces études internationales ont le mérite de reposer sur une méthodologie commune permettant une comparaison sous forme synthétique des différentes économies analysées. Evidemment, les résultats de quelques indicateurs doivent être interprétés avec la prudence traditionnellement requise lors d’un tel exercice: pour simplifier, je dirai qu’elles ne sont ni fiables à 100%, ni téléguidées. Au total, 329 indicateurs différents sont utilisés dans l’étude IMD et appliqués aux 59 pays dont la compétitivité est analysée. Avec autant d’indicateurs pris en compte, il est évident que ertains de ceux-ci peuvent ne pas être totalement pertinents au vu de certaines spécificités économiques des pays analysés.
L’étude IMD repose pour les deux tiers sur des indicateurs statistiques et pour un tiers sur les résultats d’une enquête menée auprès des chefs d’entreprises et des hommes d’affaires résidents. Cet aspect confère une crédibilité au résultat final, puisque ce sont les dirigeants d’entreprise qui savent le mieux apprécier le cadre structurel d’une économie, son attractivité par rapport à d’autres sites et sa compétitivité. Au Grand-Duché, pays dont l’économie est très ouverte sur l’extérieur et qui accueille de nombreux hommes d’affaires étranger, les réponses des chefs d’entreprises sont de ce fait marquées par la grande expérience de ceux-ci et leur capacité de pouvoir comparer le Luxembourg avec de nombreux autres sites d’investissement, de production ou d’implantation.
De tels rapports sont analysés avec intérêt par des investisseurs
potentiels
Les investisseurs potentiels utilisent de telles études en complément à d’autres analyses plus fines. Rien que de ce fait, il est important que notre pays y figure et se positionne en tête du classement, parmi les économies les plus ouvertes et les plus compétitives. C’est justement pour cette raison qu’il faut tout mettre en œuvre, les acteurs privés et publics réunis, pour améliorer sans cesse le cadre dans lequel évoluent nos entreprises et dans lequel peuvent prospérer les apports de capitaux et investissements, qui, faut-il le rappeler, proviennent quasi exclusivement de l’étranger. Le monde est de plus en plus complexe, et la concurrence pour attirer les capitaux étrangers s’exacerbe alors que les investisseurs sont de plus en plus « risk averse ». Les benchmarks internationaux sont des outils d’aide à la décision précieux non seulement pour nos décideurs politiques, mais également pour les investisseurs car ils leur permettent d’obtenir une première comparaison, certes à utiliser avec prudence, en termes d’attractivité des nations… une analyse SWOT (abréviation anglaise pour décrire un examen des forces, faiblesses, opportunités et menaces) allégée en quelque sorte.
Ce n’est que le début du démarchage et un instrument parmi de nombreux autres pour attirer l’attention des investisseurs potentiels. Mais c’est également une batterie intéressante d’indicateurs qui devrait intéresser les autorités politiques.
Quelques actions proposées pour améliorer notre compétitivité
L’étude IMD critique à nouveau que la compétitivité-prix de notre économie ne cesse de se détériorer, ce qui est dangereux pour notre économie largement ouverte sur l’extérieur qui doit écouler plus de 80% de sa production sur les marchés internationaux. Des mesures urgentes pour éliminer plusieurs faiblesses décrites par le rapport seraient la désindexation totale de notre économie (p.ex. en enlevant les clauses d’indexation des contrats, …contribuant à freiner l’inflation qui reste supérieure au Luxembourg par rapport à nos principaux partenaires commerciaux), mais également la simplification administrative, un allègement des procédures, une abolition des mesures de raréfaction des terrains, … bref, toute une série de mesures améliorant la gouvernance économique et administrative du pays, augmentant l’attractivité de son cadre légal, fiscal et règlementaire. A plus long terme, des ajustements et modernisations au niveau des infrastructures, de la recherche, de l’innovation, de l’enseignement, etc. vont également contribuer à améliorer notre compétitivité.
Une analyse de la stratégie appliquée par les meilleurs élèves et une adoption des best practices appliquées au niveau international, tel doit être l’enseignement à tirer de ces études internationales par les autorités politiques et les acteurs privés.
Les discussions autour du thermomètre utilisé…
L’étude IMD est un sondage de plus de 4200 dirigeants et spécialistes à travers le monde, ainsi qu’un recueil d’indicateurs statistiques objectifs de la compétitivité, comparables à travers les économies et dans le temps. Il y en a d’autres analyses structurelles et conjoncturelles neutres et objectives : celles du World Economic Forum, de l’OCDE, du FMI, de la Commission Européenne, d’Eurochambres, etc. Il faut se rendre à l’évidence que toutes ces organisations ou institutions arrivent à la même conclusion pour ce qui est de la situation macroéconomique et de la compétitivité du Luxembourg que je résumerais comme suit : le Luxembourg a connu trente années glorieuses, avec des performances macroéconomiques supérieures à la moyenne européenne, qui ont permis d’offrir un système social généreux à sa population et de maintenir la paix sociale, qui est également un facteur important de compétitivité. Avec la crise, les donnes ont fondamentalement changé et nos faiblesses structurelles ne sont plus camouflées par une évolution conjoncturelle, revenue à la normale.
Peu importe le thermomètre utilisé, notre santé économique s’est affaiblie et les défis à affronter sont devenus plus nombreux et dangereux, mais non pas à tel point que le « patient luxembourgeois » ne pourrait plus être guéri. Je pense que le grand public et tous les acteurs responsables du Grand-Duché ont reconnu cette situation. Il persiste un désaccord au niveau politique et entre partenaires sociaux sur le traitement et le dosage de la médecine à appliquer. Il est cependant évident que toute attente ou inaction rendra ce traitement plus douloureux et plus complexe …
Un sujet qui me tient particulièrement à cœur concerne notre système d’éducation. Dans mon prochain post, je souhaite commenter les récentes propositions de réforme du système de l’enseignement secondaire au Luxembourg.
[1] Le classement du World Competitiveness Yearbook (WCY) 2012 publié par l’institut suisse IMD (International Institute for Management Development) repose tant sur des indicateurs statistiques que sur l’opinion des décideurs économiques et des dirigeants d’entreprises. Au Luxembourg, l’enquête auprès des entreprises est coordonnée par la Chambre de Commerce.
Bonjour, tout d’abord, je trouve bien que vous blogez, il faut oser !
A propos du sujet de ce billet:
Il suffit de choisir le bon rapport où le Luxembourg est numéro 1.
par exemple ici http://www.odc.public.lu/indicateurs/benchmarks_internationaux/benchmarks_competitivite_attractivite/index.html
Pour moi, ces indicateurs sont une perte de temps !
Voici quelques billets de mon blog qui mettent le doigt là
où à mon avis le bât blesse:
http://fisec.wordpress.com/2012/03/21/5-op-12/
http://fisec.wordpress.com/2010/12/27/tous-des-pirates/
http://fisec.wordpress.com/2010/12/28/the-culture-of-contentment/
etc.
Bonjour,
Je vous remercie de votre réaction, ainsi que des liens que vous y annexez afin de l’illustrer. Sachez que je suis votre raisonnement, et ce d’autant plus qu’aucune de ces études, qu’elle soit internationale ou nationale, qu’elle soit générale ou sectorielle, ne peut prétendre à représenter une réalité infaillible ou irréfutable. La « réalité » est trop complexe et impossible à appréhender, et ces études essaient de la simplifier en nous fournissent, de la sorte, d’outils permettant de la synthétiser et de la refléter. Aucune de ces enquêtes n’est donc fiable à 100%, et les méthodologies sous-jacentes ne sont pas exemptes de critiques ou de réserves, comme je le soulève d’ailleurs dans mon « post ».
Bien que réductrices, ces études sont les meilleurs « moyens de bord » dont nous disposons. Pour une petite économie ouverte comme le Luxembourg, qui exporte 80% des biens et des services qu’elle produit, les failles méthodologiques risquent, le cas échéant, d’être exacerbées. Or, ces études gardent le mérite d’exister, faute de mieux, et ont pour objectif de « prendre la température » des économies internationales, de mettre le doigt sur les faiblesses, d’interpeller les décideurs politiques, de structurer le débat autour de l’épineuse discussion gravitant autour de la compétitivité et de faciliter les décisions d’implantations des investisseurs étrangers. Car, qu’on le veuille ou non, les plus sérieuses de ces études, comme celles du Forum Economique Mondial ou de l’IMD, sont des outils précieux à la décision des investisseurs étrangers.
Ce que je trouve particulièrement intéressant ce sont les études d’opinion et de sondages auprès d’un échantillon représentatif de décideurs économiques et de chefs d’entreprises qui font partie de ces études internationales. Ce sont bien les personnes les mieux placées pour commenter la situation économique du moment et de donner leur avis quant à l’évolution de l’attractivité de notre pays en tant que site économique. C’est la force d’attraction du Luxembourg qu’il faut soigner, et l’enquête IMD lance des messages forts à cet égard. De ce fait, il convient de mettre en œuvre des politiques appropriées afin d’améliorer le classement, et ce en retirant les bons enseignements des messages véhiculés par les entreprises à travers cette enquête.