Dans mon dernier post, j’ai présenté mon point de vue concernant le projet de réforme de l’enseignement secondaire en estimant notamment que la qualité du système d’enseignement est un facteur crucial pour le développement durable du modèle économique et social luxembourgeois, lui fournissant la matière grise dont il a besoin pour prospérer et pour s’épanouir. Un autre facteur, plus direct, dans ce contexte est donné par l’inflation et le niveau des prix dans l’économie en général.
D’après des données récemment publiées par l’office européen des statistiques, Eurostat, les niveaux de prix des biens et services à la consommation différaient sensiblement selon les Etats membres de l’Union européenne. Le Danemark (142% de la moyenne de l’UE27) affichait les niveaux de prix les plus élevés, suivi de la Suède(128%), de la Finlande (125%) et du Luxembourg (122%), en 4e position. Des niveaux de prix supérieurs à la moyenne de l’UE27 étaient également observés chez nos voisins Belges (112%), Français (111%), et Allemands (103%).
Ainsi, au Luxembourg, le niveau des prix dépassait la moyenne communautaire de 22%. D’importantes différences sectorielles sont constatées au niveau des prix. Ainsi, par exemple, les prix luxembourgeois dans la rubrique « boissons alcoolisés et tabac » sont inférieurs à la moyenne européenne de 13%, alors les prix dans la catégorie
« Hôtellerie et restauration » dépassent cette valeur centrale de 8%.
Qu’est-ce qui explique ces écarts de prix entre pays ? Tout d’abord, le niveau de vie matériel n’est pas le même dans toutes les régions d’Europe. Ainsi, par exemple, d’après une étude de la banque suisse UBS (« Prix et salaires »[1]), le Luxembourg procure le 3e niveau de pouvoir d’achat (exprimé en salaires horaires nets) au monde, et ce après les régions métropolitaines de Zurich et de Sydney. Mais le Luxembourg affiche également, et malencontreusement, un différentiel d’inflation positif par rapport à ses concurrents directs, et notamment l’Allemagne. L’écart d’inflation est loin d’être anodin : sur la période de 2005 à 2011, les prix luxembourgeois ont progressé de 20% (inflation cumulée), alors la progression n’a été « que » de 17% en Belgique et de 12,5% en France et en Allemagne.
D’aucuns invoquent le dynamisme économique du petit territoire ouvert que constitue le Luxembourg pour avancer qu’un différentiel d’inflation est « normal » quand une économie croît plus vite qu’une autre. Ce raisonnement est biaisé d’un point de vue économique, la croissance étant un indicateur réel et donc non-monétaire, c.-à-d. apuré de la progression des prix, alors que l’inflation est un indicateur dit « nominal », c-à-d. une simple évolution monétaire constatée. De surcroît, l’argument du dynamisme économique ne tient même plus la route d’un point de vue objectif – l’économie luxembourgeoise étant en panne de croissance tout en faisant apparaître une progression importante des prix. La situation est bien plus grave quelques commentateurs ne veuillent bien la présenter : sur la période de 2008 à 2011 inclus, l’économie luxembourgeoise a atteint un taux de croissance économique cumulé négatif de 0,2%, tout en « engrangeant » une inflation de 11% sur la même période. L’Allemagne fait mieux sur les deux fronts : une croissance cumulée de 3%, conjuguée à une inflation totale plus modérée de 7%.
L’inflation est élevée au Luxembourg. L’on peut trouver les arguments partiels, tel que le pouvoir de négociation moins élevé des commerçants luxembourgeois ou le nombre plus élevé d’intermédiaires,le prix de l’eau – il faudrait d’ailleurs introduire un prix unique pour tout le pays au Luxembourg, mais cela est une autre discussion – ou encore les
loyers. Mais ce n’est pas là ou le bât blesse en premier. Il s’agit d’un phénomène beaucoup plus transversal et macro-économique, c’est-à-dire un problème qui s’apprécie avant tout à l’échelle du pays et des mécanismes de formation des prix et salaires au niveau national. Les effets néfastes de l’inflation, et surtout du différentiel d’inflation par rapport à nos principaux concurrents économiques, sont multiples : dégradation de la compétitivité-prix et coût dans un pays qui doit exporter 80% de sa production de biens et services, renchérissement des politiques publiques sans amélioration concomitante des performances avec, à la clef, une dégradation substantielle du déficit public, désindustrialisation et délocalisations d’activités, chute de l’attractivité de l’économie luxembourgeoise, effets d’auto-allumage de l’inflation suite à
l’indexation généralisée, et ainsi de suite.
Nous renchérissons les coûts, les salaires, les dépenses publiques et les prix à la consommation sans que, pour le moment en tout cas, des gains d’efficience soient palpables ou que l’économie réelle puisse suivre. Et si elle suit, c’est souvent grâce à la substitution du facteur travail par le facteur capital. En des termes moins économiques : toute augmentation du coût du travail qui n’est pas compensée par des gains de
productivité contribue à augmenter encore le chômage.
La morosité économique, ainsi que le resserrement du crédit bancaire en Europe, pèsent lourd sur la propension d’investir et les niveaux d’investissements d’avenir des entreprises. Or, les investissements d’aujourd’hui, ce sont les activités économiques, l’emploi et la prospérité de demain. Si le différentiel d’inflation est déjà néfaste en
temps d’optimisme et de prospérité économique, il est destructeur en temps de ralentissement, de crise et d’incertitude, surtout pour une économie ouverte et dépendante de l’étranger. Nos habitudes héritées du passé, encore appelées
« acquis sociaux », et nos automatismes réglementaires myopes ne font qu’enfoncer davantage les perspectives économiques et le potentiel de croissance économique de notre économie dans le marasme.
Un ancien président de la banque centrale allemande, Otto Pöhl, disait fort justement que « l’inflation, c’est comme la pâte dentifrice : une fois sortie du tube, il est impossible de l’y faire rentrer ». Impossible ? Non, mais très difficile. Un premier pas pour prendre notre destin en main et de retrousser nos manches, c’est d’analyser, sans préjugés et sans a priori, l’effet de l’indexation sur l’économie, en général, et sur les acteurs économiques, en particulier (ménages, entreprises, Etat). Qu’est-ce qui est indexé au Luxembourg (prix, salaires, prestations, contrats publics, baux, etc.), quels en sont les effets micro et macroéconomiques et quels seraient, a contario, les effets d’une désindexation générale de l’économie ? Si notre blocage est tel que nous ne parvenons même pas à faire réaliser une telle étude par un organisme indépendant, le message serait désastreux et le Luxembourg illustrait, une fois de plus encore, qu’il est incapable de se réformer et, surtout, de se remettre en question. Or, l’inertie mène au déclin. Le Luxembourg ne maîtrisera ni la conjoncture mondiale, ni la politique monétaire. Mais il
peut néanmoins poser des jalons pertinents pour que son inflation ne soit pas plus élevée que celle de ses pays voisins.
http://www.ubs.com/global/fr/wealth_management/wealth_management_research/prices_earnings.html