L’Europe mise à rude épreuve
Les tergiversations autour de la crise de la dette souveraine en Europe, et notamment ses expressions dans notre pays à travers la dégradation structurelle de nos finances publiques, restent des sujets brûlants qui nous occupent pendant cette période estivale… sans véritable fin en vue.
En 2011, il y avait la lueur d’espoir d’une amélioration de la situation économique à court terme. Or, les informations conjoncturelles relatives aux 1er et 2e trimestres 2012 ont amené les instituts de statistiques à réviser à la baisse les prévisions de croissance pour 2012 et 2013. La situation, notamment en Grèce, en Espagne et en Italie, s’est sensiblement détériorée dès le printemps, et les réponses politiques à la crise des dettes souveraines n’ont pas réussi à rassurer les marchés. Les interventions, à travers les Fonds de sauvetage, la politique monétaire et les plans d’assainissement, ont l’objectif d’éviter que la zone euro ne s’écroule une fois pour toutes. Le « coût » de ces interventions est énorme, certes, mais qu’en est-il du « prix de l’inaction » ?
Reste à l’ordre du jour la question de la sortie – ou non – de la Grèce de la zone euro. Pour commencer, l’euro est une communauté de destin ; une sortie « imposée » n’est pas prévue par les traités. Qu’en est-il alors d’une sortie « ordonnée » ou volontaire de la Grèce de l’euro ? Une telle sortie, loin d’être facile, est politiquement non souhaitable, mais techniquement possible. Elle aurait toutefois un prix exorbitant, et ce non seulement pour les Grecs, mais pour tous les Européens, surtout en considérant les risques de contagion qui planent sur d’autres Etats membres fragilisés.
L’Etat hellénique risquerait de tomber en faillite. La valeur des obligations de l’Etat grec tendrait vers zéro, les banques grecques – mais aussi leurs consœurs européennes – qui détiennent ces titres se retrouveraient encore davantage dans la tourmente et devraient probablement être renflouées par de nouvelles interventions publiques. La vie sociale et entrepreneuriale en Grèce serait à l’arrêt : un Etat effondré ne peut financer ni pensions, ni salaires des fonctionnaires, ni transferts sociaux de tout genre. Il est souvent invoqué que la Grèce, après le « Grexit », pourrait dévaluer sa monnaie pour renforcer sa compétitivité. Encore faudrait-il que la Grèce dispose d’un nombre suffisant de produits et services exportables et compétitifs sur les marchés globalisés pouvant profiter d’une telle dévaluation. En même temps, les importations de matières premières et énergétiques, parmi d’autres, se renchériraient suite à une telle dévaluation, avec une issue incertaine sur le plan macroéconomique pour la Grèce.
Quant aux effets sur l’Europe d’une sortie ordonnée de la Grèce, ceux-ci sont empreints de nombreuses incertitudes. Qui serait prêt à racheter les titres souverains des autres Etats européens en difficulté si l’Europe projetait l’image de « laisser tomber » les pays au moment le plus crucial ? Ainsi, si une sortie est politiquement délicate, le prix économique, social et humain en semble disproportionné. Les risques réels et induits sont incalculables. Notons au passage que récemment, la troïka a donné un avis plutôt favorable sur les efforts importants concédés par la Grèce. Le prix est élevé, mais le rendement futur pourra être d’autant plus important. D’énormes efforts restent pourtant à faire, et de nombreuses voix politiques se sont levées récemment pour exiger des réformes plus rapides et encore plus incisives.
Qu’il y ait creux estival ou pas, la gestion actuelle de la crise a également montré qu’il y a un décalage (croissant ?) entre les déclarations officielles des hauts responsables politiques au niveau européen et les discours tenus par certains politiciens aux niveaux nationaux, souvent de seconde file – mais pas toujours – et qui mettent en cause l’avenir de la Grèce, voire la pérennité de la monnaie unique. Ainsi, la gestion de la crise fait apparaître des clivages et des dommages collatéraux qui reflètent les limites de la solidarité entre Etats membres et qui constituent un retour en arrière sur les percées d’intégration, voire une remise en question de l’acquis communautaire et des libertés fondamentales sous-jacentes à la construction européenne.
Un autre casse-tête majeur qui continue à préoccuper les décideurs politiques en Europe est celui qui consiste à trouver des solutions pour renouer avec un train de vie soutenable au niveau budgétaire, mais en même temps de poser les jalons de la croissance économique. Une politique d’ajustement et de consolidation intelligente, flanquée de mesures structurelles perspicaces pour libérer la croissance, est nécessaire.
… et le Luxembourg ?
Notre pays serait le grand perdant d’un retour en arrière au niveau de la construction européenne. N’invoquons même pas l’éclatement de la zone monétaire ! Au centre de l’Europe, notre économie fortement imbriquée avec celle de nos partenaires européens, notre marché du travail dépendant d’une offre de travail transfrontalière, l’esprit d’entreprise fortement porté par les non-nationaux, la culture imprégnée de celle de nos grands voisins, notre pays a besoin de l’Europe. L’ouverture des frontières, l’abolition des monnaies nationales, l’intégration dans des espaces politiques et économiques plus vastes et le démantèlement des barrières au commerce ont été les recettes du succès et du niveau de vie élevé de notre pays… et ce depuis son industrialisation.
Le Luxembourg dépend certes d’évolutions exogènes et de décisions externes, mais cela ne nous décharge pas de faire nos « devoirs à domicile ». Et il y a du pain sur la planche à ce niveau ! En effet, à politique inchangée, le Luxembourg est en train de passer, à une vitesse fulgurante, d’un pays vertueux à un des pays les plus touchés par la crise.
Depuis fin 2007, la croissance cumulée est négative, l’économie ne progresse plus, mais se voit néanmoins contrainte de distribuer de plus en plus de masse salariale (4 tranches indiciaires depuis 2007), hypothéquant la compétitivité du pays et accélérant sa désindustrialisation. Le chômage a augmenté de 4,3% début 2007 à 6,1% en 2012. Le déficit de l’Etat central est passé de 70 millions EUR en 2008 à 1,0 milliard EUR en 2011. Il pourrait atteindre 1,5 milliard EUR en 2012. Si nous prenons en compte le malus fiscal suite à la disparition progressive de la TVA sur le commerce électronique dès 2015, le « trou » sera de quelque 2 milliards EUR : nous risquons d’enfreindre significativement la fameuse limite de Maastricht de 3% de déficit de l’administration publique par rapport au PIB.
C’est l’agence de notation Moody’s qui vient de tirer la sonnette d’alarme en abaissant à la négative les perspectives du Luxembourg sur les plans macroéconomique, budgétaire et financier, ce qui constitue notamment le reflet de doutes croissants concernant la capacité de remboursement de la dette publique du Grand-Duché. La récente mise en garde de Moody’s est une menace réelle pour la notation « triple A » du Luxembourg. Le Grand-Duché a quadruplé sa dette entre 2005 et aujourd’hui, même si celle-ci n’évolue actuellement encore largement en-dessous de limite de Maastricht. Quelle serait la conséquence d’une perte du triple A? Nous risquerions, tout d’abord, de compromettre notre stabilité économique et sociale et les investisseurs bouderaient possiblement le pays, en réallouant leurs fonds et capitaux. De plus, nos taux de prêt deviendraient beaucoup moins intéressants, ce qui renforcerait encore davantage la pression sur nos finances publiques.
Il faut en outre savoir qu’à l’heure actuelle, le Luxembourg ne fait que rembourser des intérêts sur une dette contractée par le passé. Etant donné l’absence de marges de manœuvre budgétaires, ces dettes ne doivent pas seulement être refinancées par l’émission de nouveaux crédits, mais ces derniers risquent en outre de se négocier à des taux d’intérêts moins avantageux : la genèse d’un véritable cercle vicieux.
Le Luxembourg est désormais arrivé à un point de non-retour où l’inaction serait fatale. Sans mesures rapides et efficaces pour contrer les problèmes de notre pays, une situation dramatique comme celle à l’œuvre en Islande ou en Irlande pendant la crise financière n’est plus à exclure: au sein d’une petite économie ouverte, volatile, spécialisée et très dépendante de l’étranger, il suffit que plusieurs courants négatifs de matérialisent concomitamment pour qu’une situation critique se transforme en cataclysme.
Le graphique ci-après illustre la dégradation substantielle et, surtout, continue, du solde public luxembourgeois (en % en PIB), et ce en comparaison avec un échantillon de pays comprenant notamment les pays voisins et certains des pays dits « en difficultés ». Il est à noter qu’il s’agit des données relatives aux finances publiques consolidées, comprenant, outre l’Etat, les Administrations régionales et locales, ainsi que la sécurité sociale. Pour ce qui est du Grand-Duché, la sécurité sociale affiche, à l’heure actuelle, un solde positif de l’ordre de 2% du PIB, ce qui « maquille » quelque peu, dans cette optique consolidée, l’envergure réelle du déficit qu’éprouve l’Etat central. Partant d’une situation enviable avant la crise (excédent de 3,7% en 2007), la tendance, pour notre pays, est baissière sur l’ensemble de période allant jusqu’en 2013. Premier de la classe en 2007, le Luxembourg perd du terrain et, contrairement aux autres pays représentés, aucune tendance à l’amélioration du solde public n’est perceptible en fin de période, soulignant le caractère inefficace des efforts de consolidation et de relance de la croissance à l’œuvre au Luxembourg.
Luxembourg : du meilleur élève au dernier de la classe ?
Sources : FMI, STATEC. Prévisions pour 2012 et 2013. L’Irlande a éprouvé un déficit budgétaire de 31,3% en 2010 (non-représenté sur le graphique).
Les pistes pour renouer avec des finances publiques durables
Les recommandations européennes issues du « Semestre européen » et des organisations internationales doivent être prises à cœur, la compétitivité et la productivité doivent être améliorées, le budget doit être assaini, les recettes sécurisées et l’architecture budgétaire repensée. Les solutions pour les finances publiques luxembourgeoises se situent, à mon avis, à trois niveaux.
D’abord, il s’agira d’assurer un renforcement de la gouvernance. Nous n’abordons pas la crise d’une façon proactive, nous la subissons. Je plaide pour la définition d’une vision à long terme pour le pays, avec des objectifs socio-économiques, sociétaux et environnementaux forts et assortis d’indications claires comment les atteindre, et ce en fonction de plusieurs scénarios. Ce qu’il faut à notre pays, c’est une feuille de route ambitieuse s’appuyant sur beaucoup de courage politique.
Deuxième axe d’action: les dépenses. L’idéal serait d’effectuer une mise à plat et une radiographie de toutes les dépenses (salariales, sociales, d’investissements, de consommation, etc.) et de se poser systématiquement la question de leur finalité et de leur efficacité. Il faudra, avec moins de moyens, parvenir aux mêmes résultats, et ce notamment en s’inspirant des meilleures pratiques identifiées à l’étranger. En procédant de la sorte, notre pays pourrait déjà exploiter d’importants gisements d’efficience. Le corollaire de cette mise à plat consiste à établir le budget de l’Etat en fonction d’objectifs et de missions, et d’en mesurer l’impact sur base d’indicateurs de performance. Une désindexation complète de l’économie (cf. abolition des clauses d’indexation dans les contrats, etc.) pourrait freiner l’inflation et permettrait une réduction des coûts de production pour les entreprises, mais également des coûts de consommation courante des pouvoirs publics, voire des ménages. Concernant les dépenses sociales, l’état actuel et prévisible de nos finances publiques ne permet plus de pérenniser une politique de l’arrosoir.
Le troisième axe d’action concerne les recettes. Ici, il faut exclure – au nom de la préservation de la compétitivité et de l’attractivité de l’économie et du pouvoir d’achat – d’opter pour la voie facile qui consisterait simplement à augmenter les taux d’imposition. Il s’agira, au contraire, de réfléchir quant à l’équité et à l’efficacité de notre système fiscal, sachant que presque la moitié des ménages et des sociétés ne paient pas d’impôts. Il faudrait réviser le système fiscal en englobant, entre autres, une radiographie de divers abattements et autres déductions qui ne sont peut-être plus justifiés aujourd’hui.
Le Luxembourg doit contribuer à consolider l’Europe et l’euro, et ce notamment en faisant ses « devoirs à domicile ». En fin de compte, nous devons léguer une situation économique et financière intacte et des perspectives réelles aux générations futures. Un premier élément de réponse concret et ambitieux face à cette lourde responsabilité doit impérativement être donné par le projet de budget de l’Etat 2013, qui sera déposé à la Chambre des Députés par le Ministre des finances en date du 2 octobre 2012. Le temps presse.
En espérant que le prochain « Summerlach » sera plus serein et aura vu les premières actions concrètes de ces recommandations, je vous souhaite de passer des vacances reposantes et agréables.
Cher monsieur Carlo Thelen.
Merci de votre post!
Cher Monsieur Thelen, permettez-moi de vous adresser ces quelques réflexions philosophiques et quelque peu polémiques et provocantes, il est vrai. Ces propos dépassent légèrement le cadre que vous avez tracé, mais je crois qu’ils gardent néanmoins toute leur pertinence, en dépit du fait ou peut-être même – toute statistique étant née d’intérêts peu ou prou louables – en raison du fait qu’ils ne sont pas chiffrés ni chiffrables.
La crise actuelle des finances publiques des Etats membres est une crise des Etats et de la monnaie commune, l’euro, nous disent les banquiers. Elle est différente de la crise financière éclatée en 2008 dans le sillage de la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, nous disent-elles.
Qu’il soit permis ici de se poser quelques questions : Et si la crise actuelle des finances publiques étatiques était la conséquence logique du renflouement des marchés financiers et des établissements financiers avec la manne publique ? Et si la crise financière de 2008 était la conséquence logique de décisions néo-libérales d’hommes politiques aveuglement crédules et confiants dans les forces et le fonctionnement du libre marché, délestés de toute circonspection et de toute prudence élémentaire en abolissant des instruments de régulation pris en leur temps (1933) comme le « Glass Steagall Act » à la suite du krach financier de 1929 ? Et si la crise de l’euro sévissant actuellement était la conséquence logique de la cupidité de certains banquiers animés par un esprit de profit à court, voire à très court terme, ayant su habilement entraîner des politiciens naïfs (pour utiliser un qualificatif gentil) dans leurs combines et leurs magouilles (http://www.deutsche-mittelstands-nachrichten.de/2012/03/39309/) ? Où a-t-on vu ou entendu dans cette escroquerie à grande échelle le ministère public américain d’habitude si zélé ?
Qu’y a-t-il à penser de l’actuelle politique monétaire de la Banque Centrale Européenne consistant à renflouer les marchés financiers d’argent bon marché ? S’il n’y a pas de séparation stricte entre les activités de banque d’investissement et de banque commerciale, faut-il s’étonner de son utilisation à des fins spéculatives plutôt qu’à des octrois de crédits aux entreprises, qui constitue tout de même une des fonctions les plus primordiales et importantes des établissements financiers. Je crois qu’on peut dire que le système financier s’est actuellement déconnecté de l’économie dite réelle et se trouve définitivement engagée dans la poursuite de gains sur base de spéculation et non pas sur base de services rendus contre rémunération à l’économie.
Je crois qu’il serait temps que nos chers banquiers s’adonnent à un peu d’introspection et de modestie. Je suis d’avis que le commun des mortels, obligé de financer les jeux d’hasard à fortes sommes de ces joueurs professionnels du monde de la finance, en a abondamment donné de ses deniers pour ne pas s’entendre dire que la crise actuelle de l’euro en serait une des déficits publics dont la raison se trouverait dans un financement trop généreux des plus démunis et que les banques n’y seraient pour rien.
Que je me fasse bien comprendre : je ne compte pas m’ériger en pourfendeur du capitalisme ni en avocat du diable défendant la cause d’un socialisme mis à mal. Mais je suis d’avis que la direction dans laquelle les systèmes capitalistes occidentaux se meuvent actuellement est, à long terme, une piste suicidaire pour le capitalisme. Le capitalisme, comme tout autre système sociologique quel qu’il soit, a besoin d’être accepté par ceux qui le vivent et … le subissent, le cas échéant. C’était toujours le cas avec un capitalisme industriel du type « rhénan ». Ce ne sera plus le cas avec un capitalisme financier du type anglo-saxon qui ne s’intéresse qu’à la logique du profit à très court terme en délaissant les autres intervenants et acteurs du jeu, en privilégiant la cupidité et l’égoïsme au détriment de l’éducation et de l’altruisme. Il est peut-être temps que non seulement les banquiers mais avant tout nos politiciens, au niveau national mais surtout au niveau international, prennent conscience que ce capitalisme qui met trop l’accent sur l’aspect financier et sur le court terme est le fossoyeur de sa propre cause et existence. Ce ne serait pas une perte. Mais il est à craindre que ce ne sera pas seulement le capitalisme financier qui succombera mais aussi la philosophie capitaliste tout court.
Est-ce cela que nous voulons ?
Tant que nos chers politiciens piétinent dans leur naïveté et leur ignorance et se laissent convaincre par des lobbyistes du monde des finances venus de tous bords qui se plaisent à les conforter dans leur sentiment d’impuissance face aux forces du marché en leur suggérant les affres d’une fuite du capital en dehors de leur territoire en cas de régulation et de mise en place de garde-fous, on assistera au démantèlement et au déclin du capitalisme socialiste tel que nous le connaissions en Europe occidentale et au Japon.
Et en ce qui concerne les mesures de sauvetage pour l’euro, on nous disait, il y a peu de temps, qu’il serait inimaginable que la Grèce quitte la zone euro. Une telle sortie d’un des pays de la zone de la monnaie commune aurait des conséquences imprévisibles et désastreuses pour l’ensemble de la zone euro. Et que vient nous dire notre cher Premier Ministre dans une interview donné à la chaîne de télévision allemande WDR en ce début d’août, docilement diffusée par son organe de presse le « Luxemburger Wort » en son édition du 8 août 2012 …. « qu’une sortie de la Grèce de la zone euro serait un procédé maîtrisable lié à des risques considérables (ein beherrschbarer Vorgang der mit erheblichen Risiken verbunden wäre) surtout pour les gens simples en Grèce ». Très remarquable. Un événement aux conséquences imprévisibles et désastreuses se mute en un procédé maîtrisable endéans quelques mois seulement, selon l’avis de la même personne. C’est quand-même formidable ! L’on se pose évidemment la question en tant que lecteur critique et avisé, comment est-ce possible ? Comment se fait-il que quelque chose dont je ne suis pas en mesure de prévoir les conséquences puisse se transformer endéans quelques mois, voire quelques semaines, en un procédé (!) que je me vois en mesure de maîtriser ? Ne faut-il pas d’abord pouvoir mesurer les conséquences d’une décision avant de pouvoir émettre un jugement quant au caractère maîtrisable de celle-ci ? J’ai bien peur que ce « jugement » laisse entrevoir l’esprit avec lequel les décisions d’une telle envergure se prennent à Bruxelles par des personnes éblouies et aveuglées par leurs idées paneuropéennes, ayant mis leur bonne et simple raison au placard pour avoir volé depuis trop longtemps dans les plus hautes sphères politiques et diplomatiques. Comment peut-on être naïf et ignorant au point d’imaginer, ne serait-ce qu’un moment, que des déficiences structurelles et un laisser-aller toléré depuis des générations se transforment en un laps de temps de quelques mois – fût-ce sous le regard sévère de la fameuse Troïka – en un modèle étatique efficace.
Mais il y a mieux. Mario Monti, Premier Ministre italien et ancien eurocrate, nous fait le plaisir d’un voyage dans le temps retour au Moyen-Âge ou à l’Ancien Régime. Il propose que les gouvernements des pays de la zone euro deviennent plus indépendants de leurs parlements. Certes, ils devront respecter les décisions de leurs parlements respectifs mais il leur appartiendrait également d’éduquer ceux-ci. (sic) (Spiegel, 6 août 2012) On perçoit aisément dans ces propos l’arrogance d’un ancien commissaire européen, habitué à imposer ses idées contre vents et marées. Il estime que les tensions qui accompagnent la zone euro ces dernières années seraient d’ores et déjà porteuses des caractéristiques d’une dissolution psychologique de l’Europe. S’il y a bien une chose qui porte en soi le germe d’une dissolution de l’Europe, ne serait-ce pas plutôt le manque de légitimation démocratique de ses processus décisionnels ? Mais les choses étaient évidemment beaucoup plus simples à l’ère de Louis XIV qui, entouré de ses courtisans que l’on se plairait de nos temps d’appeler lobbyistes, n’avait à discuter de problèmes qu’avec soi-même.
Monsieur Paul,
Je vous remercie pour votre réaction et surtout pour les questions pertinentes que vous soulevez. La gouvernance et la gestion de crise européennes ont donné lieu à beaucoup d’interrogations parmi les citoyens en Europe et parmi nos partenaires en Amérique, en Asie et en Russie. En ce qui concerne vos considérations en rapport avec les banquiers, permettez-moi de vous présenter ma vue des choses qui tend à relativiser la responsabilité des banques quant à l’origine de la crise. Il est évident que celle-ci a découlé surtout de failles dans les systèmes de régulation et de surveillance au niveau de la finance (surtout aux Etats-Unis), d’une politique des taux d’intérêt trop bas et de la naïveté de nombreux consommateurs/investisseurs croyant à la réalisation durable de gains faciles, sans risques et sans efforts.
Concernant les banques luxembourgeoises, je dirais même qu’elles ont plus été victimes de ces évolutions et tendances qui ont conduit à la crise que contributeurs à celle-ci. La place financière luxembourgeoise a par ailleurs beaucoup à perdre des tendances actuelles qui se manifestent partout en Europe et qui consistent à sur-réglementer les services financiers européens. Il ne faut pas oublier que ce secteur, dans sa globalité et avec tous ses piliers de croissance, reste la locomotive de l’économie luxembourgeoise, même si des restructurations n’y sont pas à exclure au cours des prochains mois. Personnellement, je suis fier de notre place financière, de son chemin parcouru, du développement qu’elle poursuit et des perspectives positives qui s’en dégagent pour toute la population, malgré le contexte difficile actuel.
Cher Monsieur Thelen,
Je vous remercie pour votre réponse qui me laisse cependant malheureusement un peu sur ma faim. Je serais ravi si vous pouviez prendre position, soit à titre personnel, soit en votre qualité de représentant de la Chambre de commerce, non pas par rapport à la place financière luxembourgeoise qui n’est en fin de compte qu’un petit élément dans tout ce rouage – même s’il ne faut pas oublier que l’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis n’a pu se propager à l’instar d’une épidémie à travers le monde que grâce à des véhicules du genre SPV et autres instruments de titrisation – mais plutôt quant aux questions d’orientation générale que j’ai soulevées. Je ne comptais pas faire de procès d’intention à la place financière luxembourgeoise mais il est fâcheux de voir de quelle façon les choses sont présentées actuellement.
Je suis tout à fait d’accord avec vous en ce qui concerne l’origine de la crise qui a éclaté aux Etats-Unis par des prêts immobiliers trop facilement octroyés aux personnes privées grâce à une absence ou insuffisance de réglementation et de surveillance des instituts financiers. Soit dit entre parenthèses, face à cela : heureusement qu’il y a les politiciens américains pour dire aux européens comment résoudre la crise de l’euro actuelle (qui n’est que la conséquence des déboires survenus aux Etats-Unis dès septembre 2008, rappelons-le). Je ne crois pas que l’on puisse faire un reproche aux demandeurs de prêt américains, pas plus qu’aux simples consommateurs qui se sont faits vendre des produits d’investissements par leur banquier. Cette bulle de spéculation aux Etats-Unis a pu avoir l’ampleur qu’on lui connaît grâce à un esprit de cupidité irresponsable des banques d’investissement qui ont jeté sur les marchés financiers internationaux – avec l’aide des agences de notation – des produits financiers pourris.