Les 6 et 7 février 2013, les Journées de l’Economie ont rassemblé près de 500 personnes à la Chambre de Commerce. Cette septième édition a réuni entrepreneurs, acteurs politiques et économistes pour débattre de la crise en Europe et au Luxembourg. Ainsi, la crise a encore dominé les débats, mais – fait intéressant – les intervenants ont surtout essayé d’identifier des opportunités et des voies nouvelles pour sortir le Grand-Duché de la situation actuelle qui reste difficile. Logique, puisque le destin du Luxembourg est surtout lié à celui de l’Europe, et le vieux continent peine à retrouver le chemin de la croissance, par opposition aux Etats-Unis, à l’Asie et autres pays émergents.
Une Europe qui est confrontée, avec les Etats-Unis et le Japon, à un changement de paradigme important : si en 1995, ces trois blocs économiques représentaient encore 75% du PIB mondial (avec l’Union Européenne en position de leader parmi les trois), en 2013, cette part n’atteint plus que 50% (alors que l’Union Européenne est rattrapée par les Etats-Unis et les pays BRICS). Cette évolution – dont notamment la baisse du poids relatif de l’UE dans le PIB mondial – impacte l’économie luxembourgeoise, dont 80% des exportations sont destinées aux Etats membres de l’UE. Comment rester compétitif dans un monde globalisé ? Comment maintenir en termes relatifs les parts de marché des entreprises exportatrices en Europe, comment les augmenter sur les marchés émergents ? Comment rester attractif pour les investisseurs étrangers, pour la main-d’œuvre hautement qualifiée et pour les capitaux étrangers ?
Si le Luxembourg est fortement dépendant de la demande extérieure et de décisions prises à l’étranger et naturellement impacté par toute crise d’envergure européenne, voire globale, il nous reste néanmoins une latitude certaine pour trouver une réponse luxembourgeoise à ces questions.
Les solutions afférentes sont en même temps des défis importants que je résumerais par les trois concepts suivants : la productivité, la gouvernance et l’indépendance financière.
Concernant la productivité, le STATEC a récemment montré que le Luxembourg a perdu énormément de terrain comparé à ses pairs européens depuis la crise. C’est notamment dû au phénomène de « labour hoarding » bien connu du Grand-Duché et voulant que, malgré une diminution de l’output produit en temps de crise, les sociétés luxembourgeoises maintiennent leurs niveaux de main d’œuvre pour diverses raisons. Mathématiquement donc, la productivité par « tête employée » décline et avec elle la compétitivité des facteurs de production afférents. Il est à espérer que le débat imminent sur la compétitivité à la Chambre des Députés, annoncé par le Ministre de l’Economie et du Commerce extérieur, débouchera rapidement sur des actions concrètes d’amélioration.
Il est urgent d’agir non seulement sur les coûts de production, mais également sur les facteurs intangibles de productivité. A ce niveau, les études comparatives internationales sont concordantes sur un point : le Luxembourg peut et doit mieux faire afin d’optimiser l’efficience des moyens investis dans les dimensions intangibles de productivité telles que l’éducation, la formation, l’innovation, la valorisation de la recherche et le fonctionnement du marché de l’emploi. A mes yeux, le développement du Luxembourg et sa réponse face aux défis de la globalisation doit donc passer à travers une productivité optimisée au moyen de ces éléments intangibles, pour asseoir notre économie sur des niches de compétences et sur une spécialisation intelligente de ses structures.
En matière de gouvernance, plusieurs domaines se doivent d’être impérativement améliorés à l’avenir, dont la simplification administrative, la promotion de la marque Luxembourg Inc et la gouvernance budgétaire. Malgré les efforts entrepris pour simplifier les procédures administratives au Luxembourg, la Banque mondiale classe notre pays en queue de peloton des économies avancées en matière de « Ease of doing business », soit au 56e rang sur un total de 185 économies. Il est à espérer que le « Forum Investissement » qui devrait bientôt se réunir à l’initiative du Premier Ministre apportera des solutions rapides et efficaces au problème des lourdeurs administratives existantes.
Dans un autre registre, optimisons-nous l’effort de promotion de notre pays à l’étranger ? Parvenons-nous à présenter les forces de notre pays d’une façon homogène aux investisseurs étrangers ? Il faut constater que les moyens budgétaires affectés à la promotion des différents secteurs de l’économie sont relativement éparpillés, alors qu’il faudrait non seulement plus de moyens, mais une utilisation plus coordonnée et intégrée, visant des synergies et des économies d’échelle.
Un argument de « vente » traditionnel pour promouvoir et positionner notre pays à l’étranger est celui de la stabilité et de la prévisibilité en matière de l’environnement légal et fiscal. Des mesures récentes visant à augmenter les recettes fiscales (cf. doublement impôt SOPARFI, introduction d’un impôt minimal même dans le chef des entreprises réalisant des pertes) sont contraires à la volonté de défendre cet argument de vente, contre-productives en termes de génération de recettes fiscales supplémentaires durables et donc, in fine, un signe d’une gouvernance macro-économique déficiente.
Notre gestion budgétaire lacunaire est reflétée par le document volumineux que constitue le budget de l’Etat. Ce document reprend, sur 800 pages, les entrées et les sorties d’argent, sans explications, ni justifications détaillées. Une comptabilité de caisse est-elle apte à répondre aux questions fondamentales suivantes : Quels sont les objectifs politiques poursuivis en priorité ? Les finalités recherchées et les moyens investis sont-ils en concordance ? Il est temps de « dépoussiérer » notre façon de gérer nos moyens financiers, c’est-à-dire moderniser l’architecture budgétaire. Il en est de même de la gestion des participations de l’Etat, où il y a absence de véritable stratégie et de transparence à cet égard. L’exemple norvégien pourrait certainement nous inspirer dans ce domaine.
Ce qui nous amène au troisième défi, c’est-à-dire assurer l’indépendance financière de notre pays. Le pilotage à vue pré-décrit des finances nationales a contribué à la dégradation rapide et significative de la situation financière et de la marge de manœuvre budgétaire de notre pays qui, en l’espace de moins d’une décennie, est passé du statut de premier de classe à celui dont les engagements à long terme pèsent le plus lourdement. Notre dette publique a quadruplé entre 2005 et 2011. Les mesures d’urgence prises pour stabiliser le secteur financier en 2008 n’expliquent qu’une petite partie de cette progression fulgurante.
Où cela nous mène-t-il ? Dans une situation de perte de souveraineté budgétaire ? En tout cas, la résorption du déficit budgétaire ne peut être repoussée, pacte fiscal européen oblige. Le défi consistera sans doute à assainir les finances publiques en gardant à l’esprit les prémisses de l’équité et sans compromettre les perspectives de croissance. Des dépenses augmentant plus vite que les recettes, la « rigidité budgétaire » tant invoquée par les auteurs des lois budgétaires successives, les risques à moyen terme de l’assèchement de certaines sources de financement de l’Etat, l’articulation entre les mesures isolées et un possible « haircut » dans les grands blocs de dépenses – sociales, salariales, de fonctionnement et d’investissement – tel est l’agenda ambitieux, mais inévitable au cours des prochains mois. La situation ne s’améliorera pas en renvoyant cet agenda aux calendes grecques.
Cher M. Thelen,
permettez-moi de vous envoyer quelques suggestions concernant vos réflexions sur la relance au Luxembourg.
1. Productivité:
1a. éducation: je suggère que les études primaires commencent à l’age de 5 ans, donc un an plus tôt. On gagne une année de production, les jeunes peuvent commencer leur vie professionnelle comme leurs voisins des autres pays. En plus, il y a une épargne pour la société d’une année de jeunes à charge.
Je suggère aussi que le programme devienne aussi plus pragmatique afin de donner aux jeunes plus de goût à attaquer le monde du travail.
1b. innovation et valorisation de la recherche: un pays devrait investir dans une innovation qui sert à sa propre économie. Le Luxembourg n’a pas de sociétés majeures en pharmacie ou médecine. Revoyons notre stratégie et investissons dans d’autres domaines. L’innovation non supportée par une demande de marché est discutable, surtout dans un pays de notre taille. Pourquoi ne pas devenir silicone vallée européenne? En plus, innover dans ce domaine aboutit très vite à des résultats financiers.
1c. Productivité: je prône que c’est une erreur de comparer notre productivité avec celles des autres pays. On pourra la comparer par secteur d’activité, mais non ensemble. Je suis convaincu que notre productivité dans certains secteurs a évolué positivement, mais celle du monde bancaire dépend trop de la fluctuation à court terme des revenues générés.
1d. On parle souvent de nos salaires. La région genevoise en Suisse a la même démographie. Pourtant, leurs niveaux salariaux ne dérangent pas. Pourquoi? Parce qu’ils produisent plus de valeur que leurs voisins. Au lieu de vouloir épargner, investissons dans des affaires qui génèrent plus de profit, donc permettent de soutenir des salaires élevés. C’est possible, voir mes suggestions ci-avant et après.
2. Gouvernance:
2a. abolissons toute taxe qui coûte plus qu’elle ne rapporte. Exemple: taxe automobile. Aucun problème de recouvrir l’équivalent par le coût du carburant, donc de gagner deux fois, exemple la Grande Bretagne. Il y a une pléthorie de telles taxes et impôts au Luxembourg.
2b. employons ces fonctionnaires à accélérer la réalisation d’autorisations d’activités industrielles et aussi, et peut-être surtout envoyons nos fonctionnaires à l’étranger démarcher des affaires pour notre économie (pas seulement du marketing gentil, de la vraie vente!). Nos fonctionnaires sont très compétents et payés comme des directeurs commerciaux dans le privé. Alors faisons-en des directeurs commerciaux au service du pays.
3. Indépendance financière:
Que l’Etat se désengage de ses participations dans certaines banques ou des sociétés de transport. Ceci falsifie la compétition et mène à la prise de décisions déconnectées des réalités économiques. Ces sociétés auraient trouvé d’autres créneaux de fonctionnement depuis longtemps, elles auraient aussi corrigé des disfonctionnements internes si elles n’avaient pas eu la protection par l’Etat.
J’espère que ces quelques idées rencontrent votre compréhension.
Yves Kirpach
Cher Monsieur Kirpach,
Merci pour votre contribution. Je me permets de prendre position sur certaines réflexions concernant la relance au Luxembourg.
1. Productivité
1a. Education
Une proposition qui mérite d’être étudiée en détail ! Il faudra néanmoins veiller à ce que le contexte linguistique complexe du Luxembourg ne pose pas de barrières insurmontables aux jeunes élèves. Si le Luxembourg garde son système d’alphabétisation en allemand, il importe que les jeunes soient dotés de bases suffisantes en langues germaniques (luxembourgeois et allemand) avant d’être scolarisés dans l’école fondamentale. Le précoce et l’école maternelle me semblent être des contextes appropriés pour doter les jeunes de ces bases. Il faut dire aussi qu’avec la réforme du fondamental, les passerelles et possibilités pour « sauter » une année (de la 2e école maternelle directement à la première année primaire) ont été facilitées. Une proposition analogue, avec in fine un même résultat, à celle que vous avancez pourrait être le raccourcissement du secondaire (de 7 ans à 6 ans). Les idées sont là, analysons-les !
Il est vrai que chaque année gagnée dans ce contexte constituerait a priori une économie pour le budget de l’Etat, sachant que notre système d’éducation est l’un des plus onéreux au monde, avec toutefois une qualité qui objectivement ne compte pas parmi les meilleures en comparaison internationale. Toutefois, dans une économie mature et qui doit miser sur la recherche-développement et innovation, les investissements dans l’éducation et la formation sont à considérer comme absolument prioritaires. Le champ de tension est là : nécessité d’assainir le budget, d’une part, et poser les bons jalons pour préparer l’avenir de notre pays, d’autre part.
Finalement, il faut effectivement davantage rapprocher les écoles des entreprises, la sphère éducation du monde du travail. La Luxembourg School for Commerce de la Chambre de Commerce a mis en place le projet dit « Relation Ecole Entreprises » dans l’objectif d’apporter une pierre majeure à cet édifice.
1b. Innovation et valorisation de la recherche
L’approche du Luxembourg consiste à se diversifier tout en se spécialisant et à créer niches de compétences dans des domaines à potentiel de croissance élevé, telle qu’en matière de technologies de santé, d’écotechnologies ou encore de TIC. Il est vrai que l’ « héritage socio-économique » du Luxembourg – les compétences et expériences déjà en place, les entreprises historiquement présentes sur le territoire et actives dans ces domaines – n’est pas forcément présent en quantité suffisante au Luxembourg. C’est pour cette raison que le Luxembourg doit mettre progressivement en place un cadre propice au déploiement de ces niches : définition d’axes prioritaires en matière de recherche publique, création d’un cadre légal et réglementaire approprié et attractif, attraction des ressources financières et humaines étrangères, réforme de l’école, et ainsi de suite.
1c. Productivité et niveau des salaires
Les salaires sont élevés, en Europe et au Luxembourg en particulier. C’est par la force des choses que notre pays doit ainsi viser la création d’emploi avant tout dans les secteurs à haute valeur ajoutée, à productivité élevée et à haut potentiel de croissance. D’après les manuels économiques, les salaires peuvent augmenter pour autant que la productivité progresse. Or, dans une économie basée sur les services (financiers et assimilés), le calcul de la productivité (le partage « volume » et « prix » dans la valeur ajoutée) s’avère particulièrement difficile. C’est là un deuxième problème. Dans une économie à coûts et salaires élevés se pose la question de l’intégration sur le marché de l’emploi des personnes faiblement qualifiées. Il faut les employer et les payer mais au rendement réel, donc à un coût correspondant à leur productivité, ce qui n’est pas le cas au Luxembourg avec un salaire social minimum (SSM) trop élevé. D’où notre suggestion de subventionner le SSM, qui permettrait une situation « win-win » pour les trois partenaires impliqués :
1) Le salarié faiblement qualifié retrouverait une place sur le premier marché du travail.
2) L’entreprise paierait son travailleur à la hauteur de sa productivité, et pourrait former et fidéliser un bon salarié.
3) L’Etat pourrait économiser la différence entre les allocations de chômage non versées et le SSM subventionné.
2. Gouvernance
2a. Abolir toute taxe qui coûte plus qu’elle ne rapporte
Exactement, faisons un inventaire dans ce contexte et prenons les décisions qui s’imposent ! L’efficience et l’équité, telles sont les deux critères que tout impôt doit rencontrer. Aussi faut-il considérer la fonction d’incitation / de dés-incitation sous-jacente à un impôt ou une taxe (changement de comportement du contribuable visé par un impôt).
2b. Nos fonctionnaires au service de la promotion du pays
Etant donné qu’il faut investir plus de moyens dans la promotion du Luxembourg et de son économie, mais que les moyens financiers se rétrécissent, il faut en effet créer des synergies et des économies d’échelle à tous les niveaux. Je plaide pour un partenariat public-privé renforcé en charge de la définition d’un «nation branding» dynamique du pays et de la promotion multisectorielle et innovatrice de notre économie. Il me semble important, dans ce contexte, de veiller notamment à ce que les arguments que nous exposons à foison dans nos brochures promotionnelles (« Le Luxembourg, pays des chemins courts »,… ) correspondent bien à la réalité du terrain, lorsque les investisseurs qui se sont faits convaincre découvrent un Grand-Duché qui corresponde aux messages diffusés à l’étranger.
3. Indépendance financière : Que l’Etat se désengage de ses participations dans certaines banques ou des sociétés de transport
Une telle démarche doit s’inscrire dans un exercice d’ensemble : la gestion des participations et du patrimoine de l’Etat dans un contexte d’une meilleure gouvernance budgétaire visant tant une hausse des rendements, une stratégie de développement à long terme et une transparence exemplaire. J’ose espérer que ces réflexions seront menées dans le cadre de la refonte annoncée de l’architecture budgétaire.
des depenses publiques qui explosent des taxes qui explosent la suisse la belgique l angleterre et d autres vous remercient d avance. continuez comme ca