L’indexation des salaires, instaurée en 1921 et maintes fois modifiée depuis, reste un « sujet passionnel » au Luxembourg. Ainsi, selon un récent sondage[1], son maintien serait la 7ème priorité des électeurs[2], dont 20% affirment que le sujet de l’indexation aura un impact considérable sur les résultats du scrutin. Il est alors peu surprenant que la majorité des partis politiques se prononcent, en cherchant à maximiser leur « fonction d’utilité » (à savoir gagner le maximum de voix), en faveur du maintien de l’indexation et couplé, le cas échéant, à un retour au précédent régime (non-modulé) à partir de 2015.
Un garant de la paix sociale, du moins jusqu’à présent
Le système de l’indexation automatique des salaires contribue, sans doute, à la paix sociale au Luxembourg. Cependant, elle impacte, aussi, significativement la formation des salaires et le niveau général des prix. Ainsi, entre 2000 et 2012, l’indexation des salaires a alimenté près de 80% de la variation cumulée du coût salarial nominal moyen. S’agissant du niveau général des prix, l’impact cumulé sur douze mois d’une tranche indiciaire représente une hausse supplémentaire de 0,42% de l’inflation[3].
Par conséquent, l’indexation automatique des salaires entrave une évolution des coûts salariaux basée sur les conditions de marché (productivité, taux de chômage, conjoncture) et constitue un frein à une évolution réfléchie des salaires dans les périodes de modération salariale dans les économies concurrentes. Par ailleurs, du fait de son impact sur le niveau général des prix, elle crée une spirale inflationniste au sein de l’économie (effet d’auto-allumage).
Abolir les automatismes et les spirales inflationnistes
L’indexation a donc un impact préjudiciable sur la compétitivité de notre économie avec la perte de compétitivité-coût qu’elle induit[4] et génère de l’inflation. Car en plus des salaires du secteur privé et des traitements des fonctionnaires, de nombreuses dépenses publiques et prestations sociales sont indexées. A cela s’ajoute le fait que le prix de nombreux services, souvent non soumis à la concurrence internationale et très intensifs en main d’œuvre, sont « officieusement » indexés sur l’échelle mobile des salaires et s’accélèrent après chaque paiement d’une tranche indiciaire.
Il faut le souligner : le système de l’indexation n’est pas un transfert social. Son rôle est de compenser une perte de pouvoir d’achat subie du fait de l’inflation. Alors pour limiter les effets négatifs du système, essayons de prendre les problèmes à la racine, càd. en freinant l’inflation et donc l’érosion du pouvoir d’achat des consommateurs. D’où la proposition de désindexer intégralement l’économie en éliminant toutes les clauses d’augmentation automatique contenues dans les contrats de prestation de services, dans les baux à loyer, etc. La désindexation n’est donc pas une fin en soi, mais un puissant moyen permettant de contenir l’inflation et d’œuvrer en faveur de la compétitivité et donc de la création d’emplois et du pouvoir d’achat.
Pour une petite économie ouverte comme le Luxembourg, il est indispensable de ne pas ajouter par une règle « automatique », qui tend à indexer tous les prix de l’économie, de l’inflation domestique à l’inflation importée (matières premières, etc.). Il est également primordial de permettre un élément de flexibilité dans la formation des salaires, afin de ne pas entraver la capacité de l’économie nationale à s’adapter dans un environnement globalisé et compétitif. L’Etat social doit prévoir des bornes salariales inférieures. Mais il ne doit pas se substituer aux parties tarifaires en décrétant des hausses salariales généralisées à toutes les entreprises.
Le reliquat de perte de pouvoir d’achat subi par l’inflation – puisqu’il y aura encore de l’inflation – devrait être compensé par des négociations salariales, soit via les conventions collectives, soit via des négociations intra-entreprises.
La désindexation pour sauver l’emploi
Vouloir la désindexation généralisée de l’économie n’est pas, contrairement à ce qui est parfois avancé, vouloir le recul du pouvoir d’achat ou vouloir mettre à mal la paix sociale. Vouloir la désindexation généralisée de l’économie, c’est avant tout vouloir casser le cercle vicieux entre prix et salaires au sein de notre économie ouverte, puisque la progression des coûts salariaux empêche tout repli conséquent des prix des biens et services. C’est également assurer une flexibilité dans la formation des salaires afin de permettre aux entreprises opérant dans les secteurs exposés à la concurrence internationale de rester compétitives, de pouvoir faire face aux conséquences de chocs économiques qui supposent une maîtrise des salaires réels, et d’être à même d’investir et de créer des emplois.
L’emploi est la meilleure façon de garantir la paix et la cohésion sociales !
Il ne faut pas oublier que d’ores et déjà, de nombreuses entreprises se voient obligées d’ajuster le coût supplémentaire subi par une tranche indiciaire par une baisse des effectifs ou tout au moins par un recours moindre aux embauches. Inutile de préciser que les filiales de groupes étrangers implantées au Luxembourg n’arrivent plus à justifier le mécanisme d’indexation automatique et intégrale des salaires auprès de leur maison mère.
Revoir le panier de la ménagère
Parallèlement à l’abolition des clauses d’indexation automatiques dans les contrats, à l’instar de ce qui se pratique depuis longtemps en Allemagne, il faut introduire un indice santé[5] au Luxembourg, à l’instar du système appliqué en Belgique. Par ailleurs, il faut revoir le panier de l’indice des prix à la consommation de manière à limiter les effets des mouvements dus à des tensions sur les marchés mondiaux (cf. chocs pétroliers, …).
L’indice santé s’impose en effet du fait qu’il n’est plus justifiable que la pondération du panier précité soit influencée par des produits nocifs à la santé. L’annulation du panier des produits dont les prix sont formés sur les marchés internationaux, dont notamment les produits pétroliers (à l’exclusion du gasoil de chauffage, pour des raisons sociales évidentes), se justifie notamment par la politique de mobilité qui favorise la promotion des transports en commun et la mobilité douce.
Une politique budgétaire à base zéro ? Impossible avec le système d’indexation actuel !
Un autre argument plaidant en faveur de la désindexation généralisée de l’économie tient aux effets sur les finances publiques: le coût net d’une tranche indiciaire pour l’Etat peut être chiffré à environ 250 millions EUR. Par ailleurs, et c’est plus important, le maintien du système actuellement en place est incompatible avec l’introduction, pourtant nécessaire, d’une politique budgétaire à base zéro (zero base budgeting[6]), une mesure requise pour moderniser la gouvernance de notre politique budgétaire et pour rétablir l’équilibre de nos finances publiques.
Dans le nouveau monde, davantage globalisé, le Luxembourg ne pourra plus échapper aux lois de l’économie de marché
Une telle double stratégie qui consisterait, à court terme, en une réforme du panier des biens et services sous-jacent au système de l’indexation actuel et, à moyen terme, en une désindexation généralisée de l’économie, ramènerait, à terme, la société luxembourgeoise sur la voie des règles de l’économie de marché, auxquelles notre pays ne pourra de toute façon plus échapper à l’avenir.
Une inflation sous contrôle, une compétitivité rétablie et la cohésion sociale sauvegardée, telles seraient les résultantes d’une telle stratégie politique. A espérer que la prochaine coalition gouvernementale pourra s’en inspirer, même si les partis politiques, à quelques jours des élections, ne souhaitent guère reconnaître que c’est la seule voie possible dans un contexte global fondamentalement changé.
[1] TNS-Ilres (septembre 2013).
[2] Devant l’avenir du pays, la cohésion sociale ou le maintien de la place financière.
[3] Voir « Rapport annuel », BCL (2007).
[4] Voir « Bulletin 2013/3 », BCL (2013).
[5] Exclusion des produits nocifs pour la santé du panier de référence servant au calcul de l’indexation des salaires.
[6] Un budget dit à « base zéro » est établi sans référence à la période précédente, mais en fonction des stricts besoins de l’exercice budgétaire. Ainsi, le budget reposerait sur une hiérarchisation des objectifs et une analyse poussée du coût des dépenses publiques engagées, et non pas sur le seul prolongement des tendances passées.Cela contribuerait à rendre les dépenses publiques moins rigides et à augmenter l’efficacité et la pertinence de chaque euro dépensé.
Guten Tag, Herr Thelen.
Vielen Dank für Ihren Beitrag zum Thema ‘automatische Gehalt- / Lohn-Indexierung’ in Luxemburg. Er erscheint mir ausgesprochen hilfreich als Grund-lage für die Diskussion, die – wie Sie sicher wissen – auch in Belgien geführt wird. Auch und gerade vom Management der betroffenen Unternehmen oder Einrichtungen wie AHK debelux.
Haben Sie auch eine Deutsch sprachige Version bzw. einen Deutsch sprachigen Extrakt geschrieben?
Für diesen wäre ich Ihnen sehr dankbar.
Bester Dank im voraus und freundlicher Gruß,
Hans-Joachim Maurer
Bonjour M. Thelen.
J’ai beaucoup aimé votre article. Vous avez le courage du “parler vrai”. Et en tout cas de remettre en cause un certain nombre d’idées reçues. Vos réflexions, vos remarques et vos propositions me semblent très pertinentes, en particulier dans le calcul de l’indice des prix à la consommation. Il me semble aussi que l’emploi constitue aujourd’hui une plus grande priorité que l’indexation des salaires.
Encore bravo.
Cordialement,
Patrick Biver