Les services de la Commission européenne viennent de passer notre situation économique au crible[1]. Cette évaluation n’a pas bénéficié de l’attention qu’elle mérite. On peut pourtant difficilement affirmer qu’elle a été concoctée par des bureaucrates « ignorant les réalités luxembourgeoises » – argument souvent brandi à l’encontre de toute autorité internationale. Il faut savoir par ailleurs que ce rapport façonnera la suite du semestre européen et in fine les recommandations spécifiques (qu’elles soient suivies ou non…) adressées au Grand-Duché ; raisons de plus pour s’y intéresser.
Il est rappelé d’entrée de jeu qu’il est peu probable que notre pays renoue avec les taux de croissance historiques de 4% ou plus observés « avant crise ». Il s’agirait de la sorte d’ajuster la politique redistributive et budgétaire à cette nouvelle donne, la soupape de sécurité du déficit public ne pouvant être mise à contribution ad aeternam pour « compenser » cette belle disparue qu’est la croissance de 4%.
La composition de notre croissance est un autre défi : elle est extensive et non intensive. En clair, elle repose davantage sur un recours accru aux facteurs de production – le travail frontalier et l’immigration en particulier – que sur la productivité, dont la contribution à la croissance a été négative depuis 2009. Le salut économique dépend donc étroitement de l’emploi, avec à la clef un cortège de défis en termes de mobilité, de pression immobilière ou encore de cohésion sociale. Un tel modèle de croissance contredit par ailleurs les prémisses de la récente réforme des pensions, postulant une hausse de la productivité égale à 1,5% l’an, à pied d’égalité avec la progression de l’emploi.
Le rapport affirme aussi que « la réforme du système de retraite en 2012 n’était pas assez ambitieuse et les passifs liés au vieillissement continuent à menacer la situation à long terme (…) ». Est également cité le défi du financement de l’assurance dépendance.
Il importe en outre de concilier la maîtrise des dépenses publiques et l’optimisation du potentiel de croissance, notamment via un régime de taxation plus favorable à l’activité qu’à la rente. La fiscalité ne doit pas générer des pièges à l’emploi, sources d’inactivité et de chômage. Or le taux d’imposition marginal effectif (compte tenu aussi des transferts sociaux) serait actuellement de 100% dans certains cas de figure. En termes moins techniques, dans ces cas, l’inactivité rapporte autant que le travail ; alors qu’on ne pourra guère reprocher au Luxembourg de pratiquer des niveaux de rémunération bas… Le rapport attire aussi l’attention sur l’impôt foncier – qui représente chez nous 0,1% du PIB contre 1,2% dans la zone euro – et sur la flambée des prix immobiliers et sur ses effets économiques asphyxiants. Enfin, la stabilité fiscale présuppose des finances publiques durablement saines.
Un potentiel de croissance accru exige également des rémunérations plus en ligne avec la productivité – le rapport épingle explicitement l’automatisme que constitue l’indexation sans aucune différentiation sectorielle. Le choc de nos coûts salariaux unitaires – qui augmentent deux fois plus vite que la moyenne de la zone euro – de même que la détérioration parallèle du solde des échanges extérieurs sont également thématisés. L’excédent courant, en baisse tout en demeurant dominé par les exportations nettes de services, masque par ailleurs un déficit croissant de la balance des biens, qui se creuse à cause de pertes de parts de marché à l’exportation ; les secteurs exposés à la concurrence internationale étant « plutôt des preneurs de prix que des fixeurs de prix ».
Autre vecteur de croissance : des investissements publics efficients et le respect des objectifs relevant de la stratégie Europe 2020, à savoir, notamment, une progression des taux d’emploi, une intensification des efforts de R&D et enfin des politiques environnementales et énergétiques cohérentes.
Last but not least, à un indispensable effort en termes de compétitivité coûts doit s’ajouter une amélioration de la compétitivité hors coûts, via notamment une coopération accrue entre la recherche publique et les entreprises et une lutte contre les facteurs de décrochage scolaire.
En conclusion, même si le Luxembourg bénéficie, selon le même rapport, d’indéniables atouts, notamment un secteur financier ayant fait preuve de résilience face à la crise, un taux de diplômés du supérieur élevé et des finances publiques robustes à court terme à la faveur notamment d’un « plan ambitieux d’assainissement budgétaire », il convient de ne pas faire l’autruche. Il en va de la pérennité de notre modèle économique et social.
[1] SWD(2015) 35 final : Document de travail des services de la Commission – Rapport 2015 pour le Luxembourg 2015. 26 février 2015.