Cette trêve estivale est bienvenue : après une première moitié 2016 très (trop ?) mouvementée, la seconde partie devrait être tout aussi animée. La complexité et l’envergure de plusieurs dossiers font que ceux-ci nous suivront encore des mois, voire des années. Je compte en citer trois plus particulièrement dans ce post, en l’occurrence 1. le Brexit et le positionnement du Luxembourg à son égard, 2. la réforme fiscale avec ses implications sur les finances publiques et 3. la course aux talents pour développer nos niches de compétences dans l’ère digitale, ces trois sujets étant par ailleurs directement ou indirectement liés.
Le feuilleton « Brexit » nous occupera encore longtemps: “To trigger or not to trigger (and when) article 50, that’s the question”. Ses ramifications politiques et ses effets économiques directs et induits pour l’Europe restent difficiles à cerner. Par contre, des opportunités existent pour l’économie luxembourgeoise, même s’il faut être vigilant quant aux effets négatifs pour la construction européenne dont souffrirait évidemment le Luxembourg, élève modèle du projet européen.
Si la Chambre de Commerce – à l’instar du gouvernement – ne souhaite nullement encourager une approche agressive, faite de surenchères en faveur des entrepreneurs et investisseurs britanniques découragés ou en quête d’un passeport européen, elle estime néanmoins que le « Standuert Lëtzebuerg » dispose de nombreux atouts et a une belle carte à jouer dans le possible redéploiement de l’échiquier économique européen.
Les récentes et excellentes nouvelles dans le secteur industriel montrent que le Luxembourg peut demeurer un site manufacturier globalement attractif et que notre pays doit continuer à s’affirmer dans la course au développement économique et industriel. Par ailleurs, le secteur financier luxembourgeois avec son expertise internationale poursuit son développement, même s’il faut veiller à ne pas l’asphyxier par des règles européennes trop contraignantes, voire autodestructrices si le nécessaire level playing field n’est pas respecté par des juridictions hors Europe. Le secteur des TIC poursuit son développement remarquable et la digitalisation de l’économie constitue à la fois une formidable opportunité et un défi non négligeable pour notre société. Le Grand-Duché doit avoir pour ambition d’être first mover dans le domaine de la gestion et l’exploitation de bases de données, au-delà du « simple » stockage ou de la sécurisation des données informatiques. Espérons par ailleurs que le projet de la Luxembourg House of Financial Technologies (LHoFT) verra rapidement le jour.
Si le Luxembourg parvient à soigner ses atouts et à créer de nouveaux avantages comparatifs, le pays peut rester une terre d’accueil privilégiée pour bon nombre d’investisseurs, Britanniques et autres. La Chambre de Commerce souhaite également contribuer à un accompagnement professionnel et efficace de tout porteur de projet, en lançant en automne son initiative « House of Entrepreneurship », qu’elle a l’honneur de mettre en œuvre avec de nombreux partenaires privés et publics, dont notamment le Ministère de l’Economie. Ce véritable « One Stop Shop » ambitionne de réunir sous un seul toit tous les acteurs intervenant dans le cycle de vie d’une entreprise, en partant de l’idée de base, en passant ensuite par sa création et son développement, jusqu’à sa cession ou sa transmission. Ce qui constituera un appréciable apport à la simplification administrative, notamment.
Parmi les avantages comparatifs d’un site d’investissement, il faut compter sans conteste une fiscalité attractive, même si c’est un élément (certes essentiel) parmi d’autres. Un aspect me semble à cet égard primordial au cours des mois à venir, à savoir la réforme fiscale. Après la présentation des axes stratégiques de la réforme fiscale le 29 février, les textes afférents ont été soumis pour avis aux chambres professionnelles fin juillet. La Chambre de Commerce va décortiquer ce projet de loi en détail, en orientant son analyse tant juridique qu’économique sur la recherche de l’intérêt économique général et sur les mesures – présentes mais aussi absentes dans cette réforme – intéressant tout particulièrement les entreprises, qu’elles soient naissantes, en développement, en transformation ou en transmission.
La feuille de route envisagée par le Gouvernement, faisant progressivement passer le taux d’affiche global de 29% à quelque 26% en 2018, est un pas dans la bonne direction, mais un pas très timide. Ceci est justifié entre autres par le fait que ce taux de 26% doit être considéré comme un taux « à BEPS constant ». Dès que les contours de BEPS et son incidence sur la base imposable se matérialiseront, le Luxembourg, dans une posture « d’attentisme intelligent », devrait faire « tout ce qui est nécessaire » pour demeurer attractif. La « clause de rendez-vous » post-BEPS est, en tout cas, dûment notée !
Alors que le 21 avril, le Ministre des Finances a annoncé la création de « groupes de travail pour examiner une panoplie de sujets liés à la compétitivité, dont notamment des mesures spécifiques en faveur du développement des start-ups et plus généralement des petites et moyennes entreprises (« PME »), ainsi que l’introduction d’un régime d’une réserve immunisée d’impôt pour investissement[1] », les représentants des entreprises regroupés au sein de l’UEL ont mis au point des propositions concrètes visant à créer une réserve immunisée d’impôt pour les PME, ainsi qu’un programme « Seed-4-Luxembourg », à mettre en place à destination des start-ups et plus généralement des PME en création afin de faciliter leur accès au financement, et ce en s’inspirant d’initiatives étrangères. Autant de mesures essentielles pour faire du Luxembourg non seulement une « start-up nation », mais aussi une « SME nation », en pérennisant la colonne vertébrale de notre économie, les PME, tout en favorisant la montée en puissance de leurs fonds propres pour augmenter leur robustesse et par ailleurs faciliter, par ce moyen, le recours au financement. Dernier aspect : outre la genèse (start-ups) et la pérennisation (réserve immunisée), les représentants des entreprises ont également mis au point des propositions concrètes en matière de transmission d’entreprises.
Ainsi, outre le taux global de taxation nominal, des pistes de réflexion cohérentes et adaptées à l’ensemble du cycle de vie d’une entreprise ont été lancées. Ces pistes visent à favoriser la création d’activités et le développement durable de notre tissu économique. Hélas, au-delà de quelques paragraphes timides au niveau de la transmission, les textes de la réforme fiscale omettent d’aborder de front ces instruments fiscaux adaptés au cycle de vie de l’entreprise. De même, la nécessaire refonte du régime d’imposition de la propriété intellectuelle n’est actuellement pas à l’ordre du jour. C’est dommage, mais, à l’instar de BEPS, il faut espérer qu’un paquet fiscal « bis », « tailor-made » cette fois-ci pour les entreprises, les incorporera.
Parlant d’accents fiscaux futurs, pourquoi ne pas aussi considérer une approche originale pour inciter les entreprises non seulement à pérenniser, mais surtout à accroître leurs activités sur le sol luxembourgeois, voire d’en attirer des nouvelles ? Le tout sans réduire nécessairement le taux d’affiche général outre mesure, tout en réduisant la taxation effective dans certaines conditions ? Ce système, exploratoire à ce stade, pourrait ressembler au modus operandisuivant : au-delà d’un certain seuil de progression du bénéfice imposable d’une année à l’autre (p.ex. une augmentation de 5%), le bénéfice incrémental, donc supplémentaire, réalisé serait taxé à un taux inférieur au taux normal (p.ex. 75% ou 50% du taux normal). Appliqué au bénéfice incrémental uniquement, un tel système pourrait être budgétairement neutre, incitant davantage à faire progresser le bénéfice imposable, car le supplément serait soumis à un taux réduit. Ce régime serait également de nature à faciliter l’installation au Luxembourg d’entreprises nouvelles, avec à la clef des recettes additionnelles non seulement en IRC et ICC, mais également en cotisations sociales, impôts sur le revenu, etc.
Evidemment, il faudrait calibrer un tel régime de manière réfléchie, notamment le taux précité de 5% (ou par exemple, le taux de croissance nominal du PIB). Bien sûr, il serait aussi nécessaire de veiller à la compatibilité d’un tel système avec le droit européen et s’assurer, pour des raisons de concurrence loyale, que les entreprises pourront seulement bénéficier du système après avoir utilisé toutes leurs pertes reportées antérieures. Je dis bien, système exploratoire : discutons-en, car la fiscalité, si elle n’est pas une condition auto-suffisante à l’attractivité de notre pays, reste tout de même un vecteur très important dans la quête de l’investisseur et de l’entrepreneur, qu’il soit résident, en provenance du Royaume-Uni ou d’ailleurs.
Autre élément : les finances publiques. Si pour d’aucuns le paquet « d’avenir » appartient « au passé » parce qu’au « présent » l’embellie conjoncturelle masque les défis structurels, je pense au contraire que les efforts d’assainissement doivent continuer. C’est en haute conjoncture qu’il faut employer les deniers publics avec parcimonie.
L’investissement public donne également des impulsions positives à la conjoncture actuelle. Les investissements productifs, qui préparent notre société aux futurs défis, sont à privilégier, alors que ces défis sont de taille : la productivité, la croissance intensive et les infrastructures, l’efficience des ressources, la digitalisation, les nouveaux modèles d’affaires, la question énergétique et environnementale… Autant de défis et de mégatendances qui doivent être appréhendés et gérés de manière approfondie et globale si le Luxembourg « veut rester ce qu’il est » : un pays attractif, généreux, procurant un niveau de vie remarquable. Et autant de sujets qui seront traités par l’étude stratégique « Troisième Révolution Industrielle ». Une étude qui sera, je l’espère, riche en enseignements et suivie d’un plan de mise en œuvre ambitieux et « à la luxembourgeoise ». En joignant les forces entre le public et le privé !
La course aux talents et la disponibilité des ressources humaines requises pour aborder au mieux le virage de la Troisième Révolution Industrielle restent des dossiers importants et des défis de taille pour l’avenir. Le but ultime consiste à assurer le bien-être de la population et la cohésion sociale, ce qui doit passer par une accélération de la croissance de la productivité, ou pour le dire autrement, par une croissance plus intensive, garantissant un meilleur équilibre entre les inputs de production, d’une part, et la productivité, d’autre part. Une croissance extensive, c’est-à-dire reposant quasi exclusivement sur une croissance de l’emploi (et d’autres facteurs de production, terrains, matière première, énergie, …) – comme celle connue au cours des dernières décennies – ne pourra guère être assurée à long terme, alors que nos infrastructures de logement, de transport, scolaires (notamment) risquent d’être rapidement saturées. Viser une croissance intensive signifie notamment renforcer notre efficience économique, c’est-à-dire notre capacité à mieux mobiliser et valoriser nos facteurs de production.
Le facteur humain reste déterminant dans ce contexte. L’ère digitale, les futures mégatendances et les niches de compétences développées au Luxembourg requièrent la disponibilité d’une main-d’œuvre de plus en plus qualifiée et capable de s’adapter aux nouvelles évolutions, dont la complexité augmente sans cesse. Les nombreuses initiatives, publiques et privées, pour réformer, moderniser et étoffer notre système d’éducation, de formation et d’enseignement, sont à saluer. Cependant, l’effet de ces réformes ne sera pas immédiat. Il sera progressif et s’inscrira dans le long terme. Ainsi, nous devons non seulement avoir l’ambition de disposer d’un écosystème d’éducation et de formation de qualité et de renommée internationale, mais aussi d’offrir un environnement moderne et attractif (qualité de vie, fiscalité, législation du travail, accès au logement, …) et une législation à la pointe pour attirer des talents provenant des quatre coins du monde.
Bref, une rentrée stimulante s’annonce. En attendant, je souhaite à tous mes lecteurs quelques semaines reposantes !
[1] Ministère des finances, Communiqué de presse (21.04.2016).