Les petites et moyennes entreprises (PME) représentent quelque 99% des entreprises luxembourgeoises, plus des deux tiers de l’emploi et quelque 70% de la valeur ajoutée – comme l’illustre le graphique ci-joint. Davantage encore que dans l’Union européenne dans son ensemble, les PME constituent d’évidence le véritable « fer de lance » de l’économie grand-ducale. Cette clef de voûte ne pourra cependant rester en place que si la compétitivité des PME sous toutes ses formes est confortée.
Une des missions phares de la Chambre de Commerce consiste à contribuer à cet effort. Elle l’a fait encore récemment en lançant en 2016 la House of Entrepreneurship (HoE), en collaboration avec le Ministère de l’Economie.
Graphique : L’importance de PME pour l’économie luxembourgeoise (2016, en %)
Source : 2017 SBA Fact Sheet – Luxembourg, Commission européenne.
Note : une PME est définie dans le « Fact sheet » comme une entreprise comptant moins de 250 employés.
Faciliter le financement des PME et des jeunes pousses
La HoE facilite, à travers la Mutualité de Cautionnement, l’accès des PME au financement bancaire. Cet aspect est primordial, car l’accès des PME aux marchés des capitaux est bien plus ardu que pour les entreprises de taille plus importante. En outre, les petites entreprises artisanales, commerciales et industrielles rencontrent régulièrement des difficultés pour se pourvoir en capitaux propres. Une réserve immunisée pour PME permettrait d’ailleurs de contrecarrer ce biais.
L’autofinancement de leurs investissements peut être entravé par le fait que leurs besoins financiers ne sont pas continus dans le temps. Ils dépendent en effet largement de leurs phases de croissance. Peut s’ajouter pour les plus jeunes entreprises un manque d’expérience quant à la manière et aux moyens de se financer. Il convient dans ce contexte de valoriser l’éclosion et le développement des petites entreprises innovantes, à travers notamment des instruments d’épargne performants canalisés en priorité vers les « jeunes pousses ». Le tout sans oublier, bien entendu, les entreprises existantes qui ont contribué et qui contribuent au succès luxembourgeois.
Implémenter rapidement un « 5ème plan PME »
Qui dit compétitivité dit également lancement, au niveau national, d’un « 5ème Plan PME » qui devrait comporter des mesures horizontales ambitieuses. Je pense à la création d’une entreprise en quelques heures ou encore à la transmission de sociétés. Il serait intéressant de pouvoir étendre les régimes d’aide existants aux repreneurs qui doivent faire appel à des professionnels de la valorisation ou à des experts des aspects juridiques du « repreneuriat ». En parallèle, les cédants potentiels devraient être davantage sensibilisés. La préservation de la richesse économique – y inclus les savoirs entrepreneuriaux – générée par des entrepreneurs locaux est une thématique qui mériterait en effet un soutien plus concret sur le terrain. Cette idée est au demeurant soutenue par la Fondation IDEA dans son Idée du Mois n°4 (http://www.fondation-idea.lu/2014/09/03/idee-du-mois-n4-cession-dentreprises/). Selon IDEA, il y aurait au Luxembourg un potentiel de cession annuelle d’environ 200 entreprises lors de la prochaine décennie, entre 7.500 et 8.000 emplois étant concernés.
Le «5ème plan PME» pourrait enfin comporter des solutions sur mesure s’adressant aux entreprises en difficulté – afin de prévenir les faillites notamment. Il s’agit ici de trouver un axe de collaboration avec le Ministère de l’Economie, pour faire bénéficier ces entreprises de l’ensemble de la palette d’aides publiques ou du moins de certaines aides étatiques clés.
Est envisagée, à titre de suggestion principale, une intervention du ministère dans le Centre de prévention (possibilité d’intervenir à 50% dans les frais de conseil engagés en faveur de la bonne gouvernance de l’entreprise demanderesse) lancé au sein de la House of Entrepreneurship de la Chambre de Commerce. Plus généralement, il conviendrait d’adapter le régime des faillites en prenant pleinement en considération le fait qu’il s’adresse principalement à des PME, voire à de très petites entreprises. Je note par ailleurs avec intérêt la volonté du Gouvernement d’offrir une deuxième chance aux entrepreneurs qui sortent d’une période d’échec.
Le plan devrait être déclinable par secteur en fonction des mesures concernées. Je songe notamment aux horaires d’ouverture des commerces (une plus grande flexibilité à cet égard est mentionnée dans le récent accord de coalition), au préjudice commercial lié aux chantiers ou encore aux aspects propres à l’HORECA. A titre d’exemple, pourraient être étudiées des compensations financières ou autres en faveur de commerçants ou restaurateurs subissant des préjudices du fait de longs chantiers, situés « devant leur porte » ou à proximité de leur établissement.
Des procédures législatives intégrant pleinement le « think small first »
Chaque mesure majeure devrait être assortie d’un véritable « Business (SME) Check », consistant à fournir une évaluation des retombées potentielles pour les PME des futurs projets de loi ou règlements grand-ducaux, à vérifier si des exemptions ou dérogations sont prévues dans ces textes suivant la taille de l’entreprise – conformément au principe « think small first » – ou son secteur d’activité. Il conviendrait de consulter les parties intéressées, y compris les organisations de PME, au moins huit semaines avant de présenter une proposition législative ou administrative susceptibles d’affecter ces entreprises. En parallèle, un toilettage complet de la législation en vigueur s’impose, le code de l’environnement pouvant constituer un excellent ballon d’essai. Il ne s’agit certainement pas de démanteler des standards ambitieux, mais de dépoussiérer une législation devenue très lourde au fil du temps.
Toutes les marges de flexibilité permises par la législation communautaire devraient de surcroît être exploitées, en évitant scrupuleusement d’aller au-delà du nécessaire. Le « test PME » devrait faire l’objet de plus d’attention au Luxembourg, selon l’excellent exemple du European Institute for Public Administration (EIPA) basé à Maastricht, qui propose un séminaire de deux jours intitulé « Working with Impact Assessment at the EU level » dédié uniquement aux méthodologies utilisées dans les analyses ex ante. Une ouverture de la fonction publique à des ingénieurs, des statisticiens et des économistes permettrait au demeurant de compléter ce type d’approches au Grand-Duché.
Dans la foulée, il convient d’étendre la possibilité de notifier au lieu de toujours devoir recevoir une autorisation, tout en faisant en sorte que cette dernière soit simplifiée dans de nombreux cas. Ainsi, une possibilité serait d’envisager l’autorisation d’exploitation en même temps que l’autorisation de construction.
Assurer un meilleur accès des PME aux régimes d’aides existants et favoriser l’innovation
Par ailleurs, afin de favoriser les activités de R&D et d’innovation des entreprises, notamment des PME, il est fondamental d’œuvrer en faveur d’un meilleur accès aux régimes d’aides existants. Il s’imposerait de compléter à très court terme la législation actuelle, en étendant le champ des actifs éligibles aux actifs de la propriété intellectuelle issus d’activités innovantes entreprises par les PME. Un effort particulier en leur faveur se justifie d’autant plus que la propension à déposer des brevets est liée à la taille de l’entreprise, les PME étant a priori moins susceptibles de demander la protection des droits de propriété intellectuelle ou d’utiliser les informations sur les brevets.
Le domaine de la digitalisation est également essentiel dans cette perspective. Force est de constater que les PME luxembourgeoises accusent un retard en la matière. Ainsi, seules 7,8% de nos PME pratiquent la vente en ligne, contre une moyenne européenne de 17,2% selon la Commission européenne. En l’absence d’initiatives nouvelles, il existe donc dans notre pays un réel risque de polarisation digitale entre les grandes entreprises et les PME. La Chambre de Commerce contribue à atténuer ce risque, à travers le programme « Go Digital » de la House of Entrepreneurship – avec à la clef notamment des ateliers de sensibilisation et des formations spécifiques.
Pour être en mesure de faire face avec succès au « défi numérique » et de satisfaire des exigences nouvelles telles que le règlement général sur la protection des données (RGPD), nombre de PME vont devoir repenser l’architecture et les processus de leurs systèmes d’information et se poser plus sérieusement encore que par le passé la question de la gouvernance de leurs données. Il serait judicieux dans cette perspective de « flexibiliser » l’aide aux conseils externes pour PME artisanales ou commerciales.
Je recommande également le développement continu de l’octroi de « chèques digitaux » encourageant la réalisation d’un projet digital concret. A l’image de l’initiative de Luxinnovation « Fit4Digital », le chèque inciterait les entreprises concernées à se développer digitalement et ainsi à accroître leur productivité. La mise en place d’un système favorisant l’expérience client à travers le développement du digital au sein des PME favoriserait de façon décisive la compétitivité de nos PME face à la concurrence internationale. J’incite aussi à réfléchir à l’introduction d’un crédit d’impôt à l’exportation en faveur des PME et à instaurer des exonérations fiscales – certes limitées dans le temps – en faveur des entreprises nouvellement créées. Enfin, le régime applicable aux impatriés devrait cesser d’être cantonné aux entreprises comptant plus de 20 salariés.
Un environnement général plus porteur pour les PME, vecteur de diversification économique
Toujours dans un esprit « think small first », je propose de lancer dès que possible des « assises de la diversification », afin de coordonner les initiatives en la matière, tout en conférant aux PME un rôle central dans ce processus. L’effort de diversification serait facilité par un accès plus aisé de nos PME aux marchés publics, via par exemple la promotion de ce gage de transparence qu’est l’ « e-procurement », c’est-à-dire le recours aux technologies digitales dans la passation et la gestion des marchés publics.
Il importe plus généralement de comprendre que les PME ne peuvent se développer harmonieusement que sur un terreau fertile, dans un cadre général stimulant caractérisé par des infrastructures performantes, un enseignement moderne, une fiscalité simple et prévisible et des finances publiques durablement solides, de même que par des coûts de production sous contrôle.
Il convient par ailleurs d’éviter les « fautes majeures », par exemple une réduction imposée d’en haut du temps de travail ou toute autre disposition qui contribue à rigidifier le temps de travail. Une petite entreprise ne pouvant amortir de telles dispositions sur un grand nombre d’employés, elle les subit de plein fouet – songeons par exemple à la situation d’une PME comptant 5 employés, dont 1 ou 2 en congé parental. Les potentielles difficultés d’organisation du travail sont très importantes pour les grandes entreprises, mais elles sont plus perturbatrices encore pour les PME. D’autant que certaines entreprises éprouvent de graves difficultés de recrutement, dans un contexte général de manque de main-d’œuvre qualifiée.
Bravo pour cette analyse et vos propositions fortes.
Cependant, voir les PME Luxembourgeoises en retard en matière de digital est un risque pour leur développement future et même parfois de leur pérennité.
Votre idée de « flexibiliser » l’aide aux conseils externes me parait tout à fait pertinente. Cela me fait penser à la méthode AGILE utilisée par de nombreuses start-up pour anticiper et gérer le changement au quotidien.
L’idée ici serait d’injecter de l’agilité dans l’accompagnement des entreprises dans leur transformation digitale.
De plus, le facteur humain et la résistance au changement sont aussi à prendre en compte au delà de la technologie afin de donner un sens à ces actions, proche des valeurs portées par l’entreprise.